2014-12-31

 

Mort et victoire du Melkine



J'avais chroniqué le premier volume de la trilogie du Melkine en mai dernier et j'ai lu les deux volumes suivants cet été.  Ma mémoire n'étant plus ce qu'elle était, c'était déjà un peu beaucoup pour me souvenir des personnages secondaires un peu falots (les protagonistes de la série étant clairement Azuréa et Ismaël) dont Paquet s'obstine à faire des personnages principaux alors que, dans La mort du Melkine, l'auteur a tendance à rappeler le passé des Alexandre, Théo et Myriam moins en usant de détails concrets qu'en faisant porter par ses personnages des jugements synthétiques sur la personnalité des autres, leurs actes ou leurs expériences de jeunesse.  Beaucoup de choses sont dites, mais relativement peu sont faites ou montrées.

Néanmoins, le deuxième volume de la trilogie, La mort du Melkine, est peut-être bien le meilleur des trois.  Les enjeux apparaissent enfin avec toute la clarté désirée.  La transformation d'Ismaël en chef de guerre charismatique dans le moule de Paul « Muad'Dib » Atréides est plus commode que convaincante, mais elle passe parce qu'elle a eu lieu dans les coulisses et dans l'intervalle entre les deux premiers tomes.  Azuréa demeure fidèle à son personnage campé dès le premier volume et les moyens de son hégémonie se laissent enfin discerner : à la fois la force militaire et le contrôle des médias sur tous les mondes qu'elle domine, grâce à la communication instantanée.

Les effets de cette uniformisation médiatique sont mis en lumière par une série de chapitres consacrés à des mondes dotés d'une culture particulière qui subissent de plein fouet le déferlement de productions formatées par l'empire d'Azuréa.  Paquet donne toute sa mesure dans ces descriptions rapides mais aussi fortes qu'évocatrices de colonies qui ont combiné un conservatisme nostalgique afin de recréer des contextes historiques spécifiques et une certaine originalité dans l'adaptation de la modernité technologique à ces projets archaïsants.  Le résultat laisse parfois songeur quant à la cohérence avec l'idéologie qui était censée gouverner la fondation de ces mondes, mais on ne peut qu'être séduit par une société dont les membres s'expriment avec des glyphes lumineux sécrétés par leur chair modifiée, par une autre composée de cyborgs qui reconstituent un Far West légendaire ou par la résurrection de l'Autriche impériale éternellement en guerre pour la bonne cause.

Les médias d'Azuréa sapent les convictions nécessaires à la perpétuation de ces sociétés figées.  Ce n'est pas tant la médiocrité des émissions que leur contenu qui agit de manière à dissoudre les structures de l'ancien régime.  En même temps, ces émissions ouvrent de nouvelles perspectives et les diplômés du Melkine qui se retrouvent sur la plupart des mondes décrits reconnaissent qu'Azuréa nourrit des aspirations en partie légitimes.  Est-ce révélateur ou ironique de la part d'un auteur qui est un grand amateur d'une culture japonaise qu'il a connue grâce à sa diffusion médiatique hors de ses frontières d'origine — laquelle a elle-même été façonnée en partie par la diffusion hors de ses frontières des productions de Disney aux États-Unis et de la bande dessinée dont l'évolution s'est faite entre l'Europe et l'Amérique du Nord ?

Comme dans les volumes précédents, Paquet insiste beaucoup sur la dichotomie entre la liberté de se déplacer entre les étoiles, voire l'attrait de l'expérience du voyage spatial, et le danger qui guette des cultures trop bien enracinées dans un terreau planétaire donné pour aspirer à mieux.  « L'Expansion va redécouvrir l'espace, c'est ce qui compte. » (p. 324)

Seulement, si c'est beaucoup répété, les preuves à l'appui manquent.  Paquet a fait du Melkine un vaisseau digne de sa réputation et des regrets que sa destruction suscite, mais ses descriptions de l'espace laissent souvent à désirer, soit par ce qu'il ne dit pas soit par ce qu'il dit.  L'espace est un cadre ou un décor qui ne devient jamais un lieu, faute de détails précis.  Ou bien, quand Paquet essaie d'en fournir, cela reste vague ou même erroné.  Dans le dernier volume, un villageois d'un monde qui a choisi un modèle plus ou moins japonais confond les « étoiles filantes » et les comètes, le texte nous apprenant qu'il « était presque impossible d'observer une comète : on se souvenait toujours de l'avoir vue.  Il fallait garder un esprit calme et attentif pour ne pas rater cet instant.  Ce phénomène céleste était le plus fugace de tous, et l'expérience la plus intense du présent. » (p. 314)  La description est jolie et laisse croire que Paquet a déjà observé des étoiles filantes, voire un bolide (je n'en ai vu qu'un ou deux dans toute ma vie), mais qu'il n'a pas idée de ce qu'est une comète.  Ou bien, une révision malavisée par quelqu'un qui ne connaît rien à l'astronomie aura substitué un terme pour l'autre en croyant que « comète » est synonyme d'« étoile filante ».

Dans ces deux derniers volumes, plusieurs des anciens condisciples d'Ismaël se retrouvent sur la planète Giverne, qui se distingue des autres mondes colonisés par la présence d'une forêt de cristal.  Celle-ci sert en fin de compte de deus ex machina (qu'on aura vu venir de loin) pour contrer une partie des avantages qui jouent en faveur d'Azuréa.  D'ailleurs, la victoire d'Ismaël est pareillement télégraphiée, Paquet insistant si lourdement dans le troisième volume, L'Esprit du Melkine, sur les défaites successives des partisans de Crépuscule — la coalition d'Ismaël — par les forces de Banquise — l'empire d'Azuréa — qu'on finit bien par soupçonner qu'Ismaël réserve un chien de sa chienne à la trop confiante Azuréa.  Du coup, le lecteur ne doute guère de l'issue de la bataille décisive et les allusions à la victoire d'Alexandre le Grand contre les Perses à Gaugamèles risquent d'en laisser sceptique puisque la transposition dans l'espace des détails d'un affrontement antique sur le sol d'une planète est difficile à justifier, si ce n'est qu'en raison du passage du plan au volume et des lances aux missiles...

 Néanmoins, la conclusion est satisfaisante à plusieurs égards.  Le dénouement n'est pas que militaire, car les survivants du Melkine ont aussi l'occasion d'articuler leur vision d'un futur commun.  Giverne est devenu un point de ralliement pour certains d'entre eux et la famille de Théo, quoique éprouvée par les péripéties de la guerre d'Azuréa, retrouve avec émotion les siens.

Bref, quelques mois plus tard, que me reste-t-il de cette trilogie honorée en 2014 par le Prix Julia-Verlanger ?  D'abord, l'impression d'un projet ambitieux et réfléchi, qui cherchait à proposer autre chose qu'un énième combat entre les bons et les mauvais, les progressistes et les obscurantistes, etc.  Il s'agissait de renouveler les dichotomies habituelles de la science-fiction.  Ensuite, un certain regret que, comme pour d'autres ouvrages récents en science-fiction francophone, je n'aie pas pu l'aimer autant que je l'aurais voulu : dans mon cas, cela tenait surtout aux personnages de premier plan — les Alexandre, Théo, Myriam et Orphyne au cœur de l'action — qui, exception faite d'Azuréa et Ismaël, n'arrivaient pas à s'imposer comme acteurs de l'intrigue alors que les véritables seconds couteaux esquissés en quelques pages arrivaient à se détacher beaucoup plus clairement.  La difficulté n'était pas aussi dérangeante dans Les Loups de Prague, mais Paquet avait également eu du mal dans ce cas à gérer une pléthore de personnages principaux sans bien départager les rôles respectifs de chacun dans l'économie de l'intrigue.  Il s'agit d'un défi qu'il lui reste à relever correctement.  Cela dit, les autres forces évidentes de la trilogie du Melkine permettent d'espérer de la part de Paquet une œuvre à venir encore plus réussie.

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