2014-11-07

 

Interstellar, une odyssée spatiale plus lointaine

Sans doute que ce ne sera pas le succès populaire de l'année, même si j'espère avoir tort.  Le scénario n'offre ni l'aventure bon enfant et rigolote de Guardians of the Galaxy ni l'action trépidante d'Inception.  En fait, Interstellar se rapproche peut-être le plus de Memento de Nolan et, dans les deux cas, d'ailleurs, c'est Jonathan Nolan, le frère cadet de Christopher Nolan, qui a clairement conçu la structure d'une intrigue qui boucle ses propres boucles.

En gros, c'est l'histoire de Cooper, un ancien pilote de la NASA devenu cultivateur de maïs depuis que la NASA a (officiellement) fermé boutique dans un avenir qui doit se situer à trois ou quatre décennies dans le futur.  Sa femme est morte, mais il vit avec son fils, sa fille, Murphy, et son beau-père sur une ferme un peu délabrée.  Il est amené par des phénomènes étranges à découvrir qu'il s'organise un voyage interstellaire (et intergalactique) de la dernière chance pour perpétuer l'espèce humaine, menacée par la famine et la détérioration générale de l'environnement.  Il va en être, mais l'expédition s'avère aussi mouvementée que meurtrière.

Les Nolan signent un hommage appuyé aux classiques de la science-fiction.  L'atmosphère générale de l'équipée interstellaire rappelle beaucoup celle de 2001 et une plaisanterie au passage souligne certains parallèles.  D'autres clins d'œil se succèdent.  Les noms des robots qui accompagnent les explorateurs humains ne semblent pas tout à fait innocents.  Si CASE ne me fait penser qu'à un personnage de William Gibson, le dénommé KIPP fait sans doute référence à Kip Thorne, l'astrophysicien qui a conseillé Nolan et fourni l'idée initiale à l'origine de l'histoire, même s'il est tentant d'y associer aussi le personnage de Kip dans Have Spacesuit—Will Travel de Robert A. Heinlein.  Quant au robot baptisé TARS, une anagramme de STAR (étoile), il devient de plus en plus naturel en cours de route d'y voir une contraction de TARDIS, car l'intrigue, puisque je dois bien en révéler quelques bribes, joue avec le temps de plusieurs façons, y compris en revenant en arrière pour déterminer en partie les événements subséquents.  Le tout se tient de manière assez rigoureuse, si on admet quelques miracles, et on peut l'attribuer au rôle d'un physicien dans la mise au point des bases de l'intrigue.

Quelles sont les forces et les faiblesses du film ?  Parmi les points faibles, il y a le refus d'en faire de la franche climato-fiction.  Si la survie de l'humanité est menacée dans un avenir relativement proche, c'est d'abord par des maladies qui attaquent les plantes cultivées et domestiquées qui la nourrissent.  Les effets du réchauffement climatique sont tout au plus suggérés en incluant des tempêtes de sable comme au temps du Dust Bowl.  Ce choix narratif fait penser à une esquive délibérée pour ne pas heurter les climato-sceptiques aux États-Unis.  Ensuite, il y a un épisode qui implique le dernier survivant de la première vague d'explorations et qui est plutôt télégraphié de bout en bout.  Enfin, le contexte astronomique dans la galaxie rejointe par un trou de ver est loin d'être clair.  Il est question d'une dizaine d'explorateurs au départ, mais on ne comprend pas comment les mondes qui étaient à leur portée ne semblent pas l'être pour le vaisseau piloté par Cooper.  La présence d'un trou noir entouré de deux planètes  dans un système éclairé par un soleil n'est pas impossible en tant que telle, mais la structure du système n'est jamais explicitée et elle est si clairement imposée par les besoins spécifiques de l'intrigue qu'elle apparaîtra comme lamentablement artificielle aux spectateurs un peu difficiles.  Il est d'ailleurs difficile de concilier un trou noir suffisamment proche d'une étoile pour que ses planètes soit dans la zone habitable de ce soleil et un trou noir suffisamment massif pour que Cooper soit en mesure de survivre à la traversée de l'horizon.

Si le rythme plutôt lent et la longueur du film risquent d'en décourager certains, cette ampleur se justifie nettement mieux que dans le troisième Batman de Nolan, car la construction des rebondissements évite en général les temps morts. À l'aune de ce qu'on peut voir actuellement au cinéma en fait de science-fiction, il s'agit d'une science-fiction classique si bien maîtrisée qu'elle passerait presque pour de la sf dure.  (Les caissons d'hibernation, les robots trop intelligents et les êtres quinti-dimensionnels qui servent de dei ex machina constituent les principaux accrocs à une stricte vraisemblance scientifique.)

Il faut s'accrocher durant la première partie du film qui tient de la mise en place, en apparence poussive même si pratiquement tout s'avère nécessaire ou justifiable en fin de compte.  Ce sont certains moments choisis du film qui raviront les fans de science-fiction, dont le vol au ras d'un trou noir surprenant mais relativement fidèle aux équations qui le décrivent (en théorie).  Et, bien sûr, cela fait aussi du bien d'entendre parler de manière positive de la science ou des voyages spatiaux.

Est-ce un film qui révolutionnera la science-fiction au cinéma ?  Sans doute que non, mais il pourrait quand même donner envie à d'autres cinéastes de réaliser de véritables films de science-fiction, ce qui ne serait déjà pas si mal.

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Comments:
Jean-Louis, je partage ton point de vue à presque 100%. J'ai beaucoup aimé le film pour ce qu'il est, et avouons qu'il est rare de nos jours d'avoir des films de SF ambitieux qui ne tombent pas dans le n'importe quoi ou dans l'invraisemblance totale. J'ai bien aimé l'idée que le film explore plus que le simple voyage spatial lui-même, qu'il pousse sa réflexion plus loin ("à la 2001", oserais-je, bien que les références soient évidentes dans le film). Je n'ai pas l'expertise pour juger des éléments astronomiques de la galaxie rejointe, alors difficile pour moi de juger des éléments qui y sont fournis ou non dans le contexte du film, mais ils paraissent parfois effectivement inscrits là pour des fins scénaristiques. Seul point où je ne partage pas ta perplexité, si j'ai bien compris, l'histoire des 12 explorateurs originaux. Je pense que le/s trou/s de ver faisaient lien avec 12 mondes potentiellement habitables, et on y a expédié 12 explorateurs, mais que ces mondes ne sont pas nécessairement dans la même région/galaxie. On sélectionne les 3 qui y sont et qui semblaient prometteurs pour l'expédition de Cooper... du moins, c'est ce que je crois avoir compris. Évidemment, ceci me laissait avec l'incompréhension du fonctionnement du trou de ver. Au final, j'ai adoré le film et ses aspects visuels, même si parfois, les frères Nolan ont joué avec les limites de l'incrédulité (surtout lors de l'improvisation de solutions "miracles"), mais ils ne m'ont pas perdu comme spectateur. La musique était parfois trop insistante par contre (couvrant parfois même certains dialogues), le seul défaut réel du film pour moi. Enfin, je n'ai pas trouvé trop longue la première partie, où j'ai senti qu'on faisait une mise en place importante des éléments de l'intrigue et je pense que le film aura plus de succès que tu ne l'Estime au départ, puisque Nolan a une solide base de fan et que le film est bien côté.
 
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