2014-05-30

 

La Saison des singes de Sylvie Denis

Le diptyque composé de La Saison des singes (2007) et de L'Empire du sommeil (2012) de Sylvie Denis exploite un grand nombre de thèmes (classiques et moins classiques) de la science-fiction.  Le début du premier volet se base sur une nouvelle retenue par Serge Lehman pour l'anthologie Escales sur l'horizon (1998), intitulée « Avant Champollion ».  J'ai relue celle-ci après coup, car, si je me souvenais assez clairement du début, le reste du récit s'était estompé au fil des ans.  Ce qui ressemble au thème relativement traditionnel de la colonie perdue qui a oublié le souvenir de ses origines et quelques autres détails du passé (voir Pern) — quoique le sujet soit traité avec une plume particulièrement sensible au caractère d'exception des personnages principaux — n'est qu'une mise en bouche dans le roman.  (Quelques éléments de la nouvelle « Dedans, dehors » parue dans Galaxies 12 en 1999 ont aussi alimenté le diptyque, et peut-être d'autres textes, mais je ne connais pas toute la production de Denis.)

Dès la deuxième partie de La Saison des singes, le lecteur aborde un univers plus vaste, peuplé d'humains et de vaisseaux intelligents qui dialoguent entre eux (comme dans les romans de Banks).  Un détective privée est sur les traces d'une criminelle sans scrupule qui se balade avec de la nanotechnologie de haute volée et qui est également recherchée par des agents de l'Office de l'application de la Charte qui garantit le fonctionnement de cette société futuriste.  Il y a affrontement, naufrage et dispersion des nouveaux personnages sur une planète inconnue, ou sur le chemin du retour, le tout se passant près d'un millénaire avant les événements de la première partie...  Cette partie du roman se lit d'une traite et sème quelques énigmes à éclaircir ultérieurement pour entretenir le suspense.  L'action ralentit dans la seconde moitié du roman puisqu'elle se partage désormais entre les personnages de la première et de la deuxième parties.  La collectivité humaine issue des naufragés entre en contact avec les autochtones de la planète perdue, mais aussi avec des survivants du naufrage qui ont bravé les siècles.  Le tout se termine sans conclure.

Le second volet du diptyque, L'Empire du sommeil, a fait attendre les lecteurs du premier pendant plusieurs années.  Même si Denis livre l'aboutissement attendu depuis le naufrage du vaisseau l'Abondant, il manque un fil conducteur susceptible d'imposer une véritable tension dramatique à ce livre.  Denis continue d'ajouter de nouveaux personnages à une fresque qui n'en manquait pas, mais cela ne fait que diluer l'intérêt de la narration, surtout quand elle choisit de se focaliser sur des personnages relativement secondaires.  La société de la Charte, qui fait cohabiter des humains ordinaires épris de liberté et des humains plus ou moins modifiés qui veillent sur les autres, est en difficulté en raison de l'épidémie de grand sommeil qui entraîne l'absence effective d'un nombre grandissant d'individus.  Son ennemie, le monde des Cartels, va tenter d'en profiter tandis que les secrets de la planète Ninhs se dissipent au fil des péripéties.  Si Denis a tenté d'assimiler certaines des recettes narratives de Banks, il lui manque sa capacité de rendre ses antagonistes complètement haïssables et de ménager le suspense avant l'affrontement en jouant avec les évaluations par le lecteur des forces en présence, au besoin en l'induisant en erreur...

La polarisation est un mal nécessaire de la fiction populaire, mais L'Empire du sommeil compte tellement d'acteurs fondamentalement bien-intentionnés qui se contrecarrent pour des raisons superficielles que les conflits correspondants n'ont ni le poids ni l'intensité nécessaires.  De plus, lorsqu'il y aurait des raisons de réagir, ses personnages en mesure de le faire s'abstiennent.  Cette belle illustration de la maxime citée par Kennedy en s'adressant au Parlement canadien durant la Guerre froide, « The only thing necessary for the triumph of evil is for good men to do nothing », distancie le lecteur qui souhaiterait prendre parti pour les uns ou les autres.  En définitive, le diptyque de Denis met en scène le triomphe d'un millénaire d'obscurantisme subi par les humains de Ninhs, d'un millénaire de despotisme vécu par les serviteurs de Kiris T. Kiris et d'un millénaire d'inégalités pour les exploités du monde des Cartels.  Quelque part, la moralité supérieure de la société de la Charte serait plus convaincante si quelques-uns des post-humains relatifs au cœur de l'intrigue (les Grands Modifiés qui animent les vaisseaux intelligents et disposent d'une nanotechnologie toute-puissante, ou même les initiés de Ninhs qui savent que les autorités de la collectivité humaine se trompent) manifestaient un minimum de culpabilité par rapport à ce qu'ils ont laissé faire pendant tout ce temps.

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