2013-03-16

 

Atlas et le long bras canadien de l'auteur

De retour de la pièce Le Bras canadien et autres vanités de Jean-Philippe Lehoux mise en scène par Fabien Cloutier, j'y réfléchis encore.  Premier Acte est consacré au théâtre émergent, et dit de la relève (mais qui est tombé?), et la pièce présente de fait quelque chose de moins abouti et de plus expérimental que d'autres pièces québécoises dans le registre de la science-fiction, comme Alpha du Centaure en 2007.

Le propos n'est pourtant pas dénué de résonnance potentielle.  Lehoux imagine qu'en 2032, l'astéroïde du Petit Prince de Saint-Exupéry est devenu une destination touristique que l'on rejoint de New York en avion (spatial, je suppose).  La vie du Petit Prince et de ses compagnons a été bouleversée, mais celui-ci réserve un accueil particulier au groupe de touristes qui comptera son millionnième visiteur.  C'est ainsi que cinq touristes québécois désappointés découvrent que le Petit Prince est devenu un homosexuel aigri et alcoolique, un adepte de la masturbation qui vend aux touristes du souvlaki à base de mouton...

L'astéroïde B 612 de Saint-Exupéry s'inscrivait dans l'histoire littéraire des îles exotiques qu'il était possible de peupler, en raison même de leur éloignement et isolement, de personnages inédits.  Comme dans La Tempête de Shakespeare, le Petit Prince est le maître d'une île enchantée et il entreprend de raconter à ses visiteurs une histoire dont il les oblige à être les acteurs, chacun incarnant plusieurs rôles.  Ainsi débute une nouvelle intrigue, dominée par la quête d'Atlas qu'une rencontre jouissive avec le nouveau bras canadien de la station spatiale internationale délivre de son fardeau pluriséculaire : la Terre.  Le Titan descend alors sur Terre et se glisse dans le corps d'un vieil Arabe en djellaba.  La Terre larguée par Atlas est en proie au chaos, les pays et les lieux dérivant dans le désordre, et Atlas se lance alors à la recherche du bras canadien échoué quelque part à la surface de la planète, le demi-dieu ne sait où.

Lehoux présente sa pièce comme une comédie épique sur le thème de l'humilité.  Là où Saint-Exupéry avait réglé le cas des vaniteux en trois pages, Lehoux déplore à la fois qu'on se prend trop au sérieux et qu'on ne prend rien au sérieux.  Il lui faut toute la pièce pour essayer de se dépêtrer de cette contradiction et il n'y arrive pas tout à fait.  Il y avait là une ouverture pour parler de la science-fiction dans ce contexte science-fictif, puisque cette dernière exige une forme d'humilité qui admet la possibilité de l'erreur, ou pour reparler de Saint-Exupéry, dont la rose manquait singulièrement de modestie.

Toutefois, en privilégiant la dimension comique de son récit, Lehoux n'échappe pas à l'écueil de la bouffonnerie.  Les personnages du Petit Prince s'habillent en clients d'un sex-shop de sorte que l'aspect physique de leurs transformations et de leurs performances (musicales ou sexuelles) s'impose au détriment du contenu des dialogues.  Le Petit Prince est mal placé pour se plaindre qu'il est incompris quand il en fait autant pour détourner l'attention de son auditoire.  D'ailleurs, si Atlas plaide pour la liberté de pensée, afin que l'humanité ne se laisse plus asservir par ces idoles qui exacerbent sa gloriole, les autres personnages n'offrent pas un discours aussi suivi.  Certaines répliques sont servies par des acteurs qui vocifèrent de telle manière qu'on ne saisit pas toutes leurs paroles.  On peut bien se moquer de la diction ampoulée des acteurs du théâtre classique, mais elle avait l'avantage de favoriser la compréhension des spectateurs.

Bref, Lehoux renoue à certains égards avec la bouffonnerie rabelaisienne en s'écartant nettement de la fable de Saint-Exupéry, dont il veut pourtant conserver la dimension morale, mais il lui manque l'encyclopédisme et l'élévation philosophique qui sous-tendaient l'épopée de Gargantua et Pantagruel.  Néanmoins, l'intention était là, et Lehoux creusera peut-être le même filon dans son œuvre ultérieure.

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