2012-10-21

 

L'hommage familial de Pantaléon Hudon

Au Canada, la famille des Ducharme s'est distinguée dans la traite des fourrures et les affaires militaires au tournant du dix-neuvième siècle.  Jean-Marie Ducharme (1723-1807) pratiqua le négoce durant les années troublées de la Conquête et de la Guerre d'Indépendance des États-Unis, en vendant au plus offrant sans trop se soucier de l'identité des acheteurs.  Son fils, Dominique Ducharme (1765-1853), fut non seulement trafiquant de fourrures mais aussi un militaire qui joua un rôle déterminant dans le sort de batailles cruciales de la Guerre de 1812.  Un frère plus jeune de Dominique, Louis Ducharme (1778-1865), est moins connu, mais, de son mariage avec Ursule Charlebois le 4 août 1806, naît une fille, Julie Ducharme, le 25 mai 1809 dans la paroisse des Anges-Gardiens de Lachine.  Le 18 août 1828, celle-ci épouse à Ville Saint-Laurent le dénommé Firmin Hudon dit Beaulieu, de Rivière-Ouelle, le fils d'Antoine Hudon dit Beaulieu et Angélique Langlois.

Firmin Hudon était un peu plus vieux qu'elle, né à Rivière-Ouelle le 27 octobre 1805.  Marchand probablement prospère, il donna fièrement son prénom à son fils né le 8 janvier 1843 et baptisé le lendemain à Saint-Pascal de Kamouraska, tout en l'affublant d'un second prénom nettement plus ronflant : Pantaléon.  Celui-ci est donc le fils de la nièce de Dominique Ducharme, ce qui en fait le petit-neveu du héros de la guerre de 1812.  En écrivant sur Dominique Ducharme, Pantaléon Hudon reconnaîtra d'ailleurs ce lien de parenté : « l'auteur a trouvé quelque plaisir à esquisser la notice biographique d'un excellent homme à qui il tient du reste par des liens de parenté assez étroits, puisqu'il était frère de son aïeul maternel » (p. 544).  Ainsi devenu homme de lettres à ses heures, il décéda le 17 août 1879 et fut inhumé le 21 à Sainte-Angèle-de-Mérici, dans la région de Matane.

Ce lien de parenté entre Pantaléon Hudon et Dominique Ducharme accrédite la thèse de Mario Rendace selon qui le texte intitulé « Histoire ou légende : apparition du diable » dans le volume XV de la Revue canadienne (pp. 685-689) en 1878 serait un récit authentique de Dominique Ducharme, couché par lui sur papier au moins cinquante ans après les faits datés de 1789 (p. 688).  Si ce récit est une relation authentique, dans le genre des témoignages de Castaneda, on ne peut l'inclure dans le DALIAF au même titre que la plupart des autres fictions recensées dans cet ouvrage — ou sinon, il faudrait inclure aussi un texte comme « Le trépas d'un ange » de Mlle Letendre, dont la dimension religieuse est, d'un point de vue sceptique, aussi fantaisiste qu'une apparition du diable.  Mais si ce récit est une simple histoire (comme le seraient certains textes de Castaneda, d'ailleurs), la paternité de cette fiction devrait revenir à Dominique Ducharme, et non à Pantaléon Hudon.  Ce qui ferait de Dominique Ducharme un des premiers auteurs canadiens-français d'un texte fantastique puisque le manuscrit de cette légende (qu'il importerait de chercher et retrouver) daterait de la période 1839-1853.

Pantaléon Hudon aurait eu moins de dix ans à la mort de Dominique Ducharme en 1853.  Avait-il entendu une version de ce récit des lèvres mêmes du vieux capitaine ?  On pourrait le croire puisqu'il écrit en paraissant faire allusion à une telle occasion : « Ceux qui ont connu le loyal capitaine doivent se rappeler combien il aimait à raconter ce terrible épisode de sa jeunesse, et avec quel air il regardait les auditeurs qui laissaient poindre quelques signes d'incrédulité touchant la véracité de sa narration. » (p. 429)  Néanmoins, l'écrivain de trente-cinq ans était un peu plus réservé que le garçonnet qu'il avait été.  Une pointe de scepticisme apparaît dans les dernières lignes de son portrait de Dominique Ducharme : « Comme tous ceux qui ont beaucoup voyagé, M. Ducharme se plaisait à raconter les divers événements dont il avait été témoin ou acteur.  Sa verve était inépuisable et, faut-il le dire, parfois ses récits paraissaient pour le moins étranges, mais on n'avait aucune raison de douter de la parole du voyageur intrépide qui n'avait jamais connu la peur ou le mensonge. » (p. 430)  Comme le conte même raconté par Dominique Ducharme démontre qu'il avait bel et bien connu la peur, de son propre aveu, on peut se demander si son petit-neveu n'adresse pas un petit sourire en coin à ses lecteurs...

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