2012-10-20

 

L'étrange mort du docteur Legault

Le sept janvier 1850, dans la paroisse de Saint-Eustache au bord du lac des Deux-Montagnes, Eustache Legault, cultivateur et fils mineur de Jacques Legault dit Deslauriers et Suzanne Clément Larivière, épouse Hélène James dite Carrières, fille mineure de Thomas James Carrières et d'Apolline Lefebvre.  De cette union naîtra vers 1856 un fils, Joseph Napoléon Legault dit Deslauriers.  Celui-ci fera ses études secondaires supérieures au Collège de Montréal, probablement dans le bâtiment tout juste complété en 1870, comme le révèle un poème de réminiscences publié par J.-N. Legault dans Le Monde illustré le 4 décembre 1897.

En 1876, le mariage de Napoléon Legault, instituteur de St-Jean-Baptiste de Montréal et fils mineur d'Eustache Legault et Hélène Carrière, et d'Angélina Hébert, fille mineure de Paul Hébert et Delphine Doré (?), est célébré le 24 juillet à Sainte-Brigide de Montréal.  En 1881, les familles du père et du fils habitent dans la paroisse de St-Jacques-le-Mineur, à Laprairie.  Elles partagent le même logis.  Eustache et Hélène, qui auraient 51 et 50 ans respectivement, vivent en compagnie de leur fille de dix ans, Cordélie (?).  Le quinquagénaire est classé comme journalier tandis que le fils travaille toujours comme instituteur.  Napoléon et Angélina ont deux enfants, une fille de deux ans (Dora) et un garçon de quelques mois.

Le jeune instituteur aspire à une carrière plus prestigieuse : la médecine.  Selon des annuaires compilés aux États-Unis (plus ou moins fiables), Joseph Napoléon Legault aurait alors étudié la médecine à l'Université de Laval, dans sa succursale montréalaise appelée à devenir plus tard l'Université de Montréal, vers 1885 et à l'Université Victoria établie à Cobourg en Ontario, vers 1886.  En 1890, selon l'ouvrage The Doctor in Canada, il habite ou pratique dans St-Jean-Baptiste de Montréal.  Les bottins de l'époque révèlent entre autres qu'il habite au 3687 rue Notre-Dame dans St-Henri en 1894-1895 et au 3635 rue Notre-Dame dans St-Henri en 1897-1898.  Désormais lancé, il participe à la vie des lettres.  Dès 1894, il signe un problème de jeu de dames dans le numéro du 24 novembre du Monde illustré (qui l'identifie comme un docteur de St-Henri).

Il s'essaie ensuite à la poésie.  Dans le numéro de mars 1898, il signe dans Le Petit Message du Très Saint Sacrement un « Sonnet à Jésus-Hostie » empreint de ferveur religieuse.  On recense aussi un autre poèeme religieux, « Les Voix célestes », paru en plusieurs parties dans Le Monde illustré.  Le 26 février 1898, il livre dans Le Monde illustré la première partie d'un poème à la mémoire de son fils, « Le Père et l'enfant ».  Il y est question d'un fils mort depuis cinq ans, à l'âge de trois ans.  Cela ne correspondrait pas au garçonnet né vers 1880-1881, a priori, mais il est bien possible que le poème n'ait pas été publié tout de suite.  En janvier 1899, toujours domicilié à St-Henri, il signe un poème en hommage à la France, « À mère patrie », qui paraît dans le numéro de février de La Revue des deux Frances, qui circule en France et au Canada.  Il se tourne de nouveau vers Le Monde illustré pour publier dans le numéro du 11 mars 1899 une nouvelle fantastique : « Légende canadienne : Le champ de Tacoma ».

L'année 1899 est décidément prometteuse.  Le même Monde illustré annonce le 22 juillet 1899 que la nouvelle Association des Barbiers de la province de Québec, incorporée cette même année, avait nommé comme médecin inspecteur pour toute la province le docteur Legault en personne.  Le journaliste Firmin Picard commentait que le médecin était « non seulement excellent praticien, mais encore écrivain de bon aloi, et en outre adonné aux questions sociales dans ce qu'elles ont de meilleur relativement à la classe ouvrière .»  Le docteur verrait sans doute à appliquer les nouveaux règlements de l'association, dont la désinfection des instruments des barbiers...

Hélas, un an plus tard, Le Monde illustré devait annoncer dans le numéro du 25 août 1900 la mort « presque subite » du docteur J.-N. Legault, « arrivée à Saint-Henri, à la suite d'un accident de bicycle », le 11 août.  L'avis de décès le présentait ainsi : « M. Legault a collaboré à notre journal pendant plusieurs années, tant sous son nom que sous divers pseudonymes.  Plusieurs de ses poésies ont aussi paru dans la Revue des Deux Frances, de Paris. »  Le jugement définitif de ses mérites littéraires suivait : « Sans être un poète de grande envergure et de correction parfaite, M. Legault avait des dispositions indéniables pour la versification, et il n'y a aucun doute qu'il aurait pu laisser quelques œuvres de valeur si ses occupations lui avaient procuré plus de loisir et surtout s'il ne s'était pas cantonné dans l'imitation des poètes du XVIIe siècle. »

Sa mère était morte depuis le 9 février 1886.  Le médecin Joseph Napoléon Legault dit Deslauriers est inhumé dans le cimetière Notre-Dame de Montréal le 13 août 1900, décédé à l'âge de 44 ans.  Son père, Eustache, lui survit, ne succombant qu'à l'âge de quatre-vingts ans environ, le 3 mars 1908, et il sera lui aussi inhumé dans le cimetière Notre-Dame.  Il n'avait sans doute pas prévu que son poème de 1898, exprimant la douleur d'un père privé de son fils, s'appliquerait deux ans plus tard à son propre père.

Comments:
Un autre poème du docteur Legault, « Honneur aux héros de 1837-38 », est reproduit sur son blogue par Daniel Laprès, qui fournit aussi quelques éléments biographiques additionnels. Entre autres, il a retrouvé l'acte de naissance de Joseph-Napoléon Legault le 15 septembre 1855 dans la paroisse de Saint-Eugène en Ontario.

Trois remarques sur cet acte :

(i) La paroisse de St-Eugène (apparemmment fondée en 1855, d'où l'attribution du numéro 8 à l'acte de naissance) correspond sans doute au village de St-Eugène entre Rigaud et Hawkesbury.

(ii) L'acte reproduit est sans doute une copie (le formulaire imprimé spécifie « Mil neuf cent » comme préfixe des dates annuelles) d'un acte entièrement manuscrit à l'origine.

(iii) L'épellation du nom de la mère laisse entendre qu'il correspondrait au patronyme aussi épelé « Jammes », « Jamme » ou « Gemme ». Mais je le dis au condtionnel...
 
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