2011-10-07

 

L'ère du cyberpunk

La mort de Steve Jobs n'est pas la mort d'Apple, mais la compagnie d'aujourd'hui n'est plus nécessairement la compagnie qui, en 1984, s'opposait aux IBM de ce monde. Néanmoins, sa mort met en un sens un point final à l'ère du cyberpunk.

Souvenons-nous que c'est en 1984 que William Gibson faisait paraître Neuromancer, un roman qui allait accélérer la cristallisation d'une tendance en aidant à définir la sensibilité du cyberpunk. Et c'est la même année que cette pub célèbre d'Apple (qu'il me semble bien avoir vue, comme quoi un intérêt pour le football mène à tout...) annonçait la sortie du Macintosh. La coïncidence n'était pas fortuite. Les ordinateurs personnels allaient devenir des biens de consommation dont pourraient s'emparer des passionnés moins férus de langages informatiques (BASIC!) ou de microprocesseurs que des applications (déjà!) fournies par Apple. Tout en faisant écho aux visionnaires des années soixante-dix (Nelson, Rheingold), Gibson anticipait la création d'une culture rendue possible par des ordinateurs plus accessibles. Dans le cadre de cette culture cyberpunk, les ordis auraient le cachet des motos et des voitures bricolées par des fous de mécanique aux États-Unis depuis les années quarante ou avant — mis en scène par Heinlein, en son temps, dans Rocketship Galileo, il me semble, quand les fous de mécanique passaient allègrement des voitures reconstruites aux fusées... Les « cyberpunks » étaient donc bien les dignes descendants des fans de radio qui avaient été les premiers lecteurs de Hugo Gernsback, auquel Gibson avait rendu un hommage, euh, dévastateur dans « The Gernsback Continuum ». La personnalisation de la technologie — postes à galène et radios à ondes courtes des fans, autos et motos modifiées des hotrodders, fusées des scientifiques en herbe, ordinateurs personnels des Maqueux — a permis à des générations successives d'investir le futur et de s'y projeter de par leur maîtrise de la mécanique, de l'électronique ou de l'informatique. Si la science-fiction est en perte de vitesse, c'est peut-être bien parce que ni la biotechnologie ni la nanotechnologie ne sont encore manipulables dans un garage ou un sous-sol... En même temps, tant que ces technologies restaient un domaine réservé aux véritables passionnés, ces derniers pouvaient passer non seulement pour des marginaux mais aussi pour des rebelles. D'où la pub d'Apple. Et d'où les « console cowboys » de Gibson (qui exploitait ce faisant un mythe encore plus ancien).

Les ordinateurs d'Apple et les créations ultérieures de Steve Jobs ont longtemps conservé cette image de marque qui faisait de leurs possesseurs des êtres à part, cowboys solitaires ou rebelles réfractaires aux règles du Système. Mais, dans un monde où grand-mères et petits-fils sont tous sur Facebook, il est devenu de plus en plus difficile de se cacher que le piratage informatique n'est qu'une nouvelle forme de criminalité (ou d'espionnage) qui n'a rien de très glorieux, et que les ordinateurs d'aujourd'hui sont désormais aussi banalisés que les radios, motos et autos qui font encore partie de notre quotidien. Le décès de Steve Jobs n'annonce pas la mort du cyberpunk, il nous la rappelle.

Dans une de mes nouvelles inédites (et incomplètes) de l'ère cyberpunk, intitulée « Arctica ICE », un des personnages est un hacker qui a fait ses classes à l'Institut Wozniak. Les références sont claires. Mais je m'étais sans doute trompé, puisque Jobs passera peut-être à l'histoire comme celui qui aura non seulement façonné l'informatique personnelle des années quatre-vingt mais aussi accouché du mythe technologique le plus capable d'entrer en résonnance avec les archétypes (vaudous ou non) du cyberpunk...

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