2011-05-07

 

Le leadership libéral

Les Libéraux auraient dû tout faire pour garder Paul Martin à la tête de leur parti. C'est la conclusion qui s'impose, avec cinq ans de recul. On ne saurait réécrire l'histoire des cinq dernières années, mais il est tentant de penser qu'en 2008, une élection opposant Harper et Martin aurait pris une autre tournure. Ce qu'il restait de crédibilité à Martin tenait à ses succès comme ministre des Finances et les prémices d'une crise économique niée par Harper aurait fourni à Martin une chance de convaincre le public canadien. Et même si Martin était demeuré dans l'opposition après 2008, les concertations internationales consécutives à 2008 (G8, G20, Copenhague) auraient pu rappeler aux Canadiens qu'il y avait, en face de Harper, une des inspirations du G20 (Martin avait défendu l'idée d'un tel groupement) et un homme d'État nettement plus écouté à l'échelle internationale que les Conservateurs.

Mais l'Histoire avance sans faire de brouillons. Depuis, le Parti libéral n'est pas arrivé à se dépêtrer des trois principaux choix du congrès à la chefferie de Montréal : Dion, Ignatieff et Rae. Dion et Ignatieff ont fait de leur mieux, mais ils présentaient des lacunes que les Conservateurs ont su exploiter. Le programme de Dion était ambitieux, mais le parti était endetté et la personne ne persuadait ni les électeurs québécois ni les électeurs du reste du Canada. À deux occasions (pendant l'élection de 2008 et lors de la crise de la prorogation), Dion n'a pas su communiquer. En définitive, il aurait fallu voter pour lui parce que c'était le choix par défaut ou parce que c'était la conclusion obligée d'un raisonnement logique. Ni l'une ni l'autre de ces raisons trop intellectuelles n'ont suffi.

Le cas d'Ignatieff est particulier. Il s'est imposé au parti comme une solution de rechange par défaut, sans être élu par les membres. Or, s'il était arrivé second lors du congrès à la chefferie, ce n'était pas par hasard. Il traînait des casseroles, de son appui pour l'invasion de l'Irak à son approbation de la torture.

De plus, en devenant le troisième chef successif depuis le départ de Chrétien, Ignatieff achevait de donner au Parti libéral l'image d'une organisation dénuée de principes durables et de convictions stables, dont le programme dépendait entièrement des préférences du chef du moment et des tacticiens électoraux. À la trappe le Plan vert de Dion! Oubliés les succès de Martin! Le désir forcené de plaire encourt parfois le déplaisir de ceux à qui on désire plaire.

En même temps, le Parti libéral semble incroyablement marqué par l'époque mythique de Trudeau, qui apparaît aux Libéraux comme la combinaison rêvée d'un chef fort, d'un visionnaire politique et d'un intellectuel. La stature intellectuelle de Dion et Ignatieff a beaucoup contribué à les propulser à la chefferie.

Toutefois, Ignatieff et ses partisans n'ont toujours pas compris qu'il existait une différence essentielle entre Trudeau ou Dion et leur héros. Trudeau était à la fois un prof et un militant; Dion aussi l'avait été, dans une moindre mesure. Dans les deux cas, cependant, ils avaient œuvré au Canada, pour des causes canadiennes. Trudeau a défendu des causes sociales et politiques, tandis que Stéphane Dion a fait l'apologie du fédéralisme. Ce que tout le monde a reconnu, y compris leurs détracteurs, c'est qu'ils avaient tous les deux contribué à la res publica canadienne avant de se lancer en politique. Ils avaient gagné leurs épaulettes, comme on disait autrefois, avant d'aspirer aux plus hautes fonctions canadiennes.

Ignatieff a également été un intellectuel engagé, mais il a travaillé à l'extérieur du Canada, pour des causes qui ne concernaient le pays que lointainement — et parfois à contre-courant des opinions dominantes du parti, voire du verdict de l'Histoire. Du point de vue d'une partie de l'électorat canadien, il n'avait pas gagné ses épaulettes et l'étiquette de parachuté que lui ont collée les Conservateurs a si bien adhéré parce qu'elle n'était pas complètement injustifiée. Ce n'était pas une invention, c'était une lacune et Ignatieff aurait dû s'en excuser au lieu de prétendre que ce n'en était pas une.

Le Canada n'est pas hostile aux immigrants ou à ceux qui font carrière à l'étranger, et il aura sans doute un jour prochain un autre premier ministre issu de l'immigration, mais il s'agira alors de quelqu'un qui aura fait ses preuves au Canada, comme Ujjal Dosanjh ou Michaëlle Jean.

Le Parti libéral se tournera-t-il désormais vers le troisième larron du congrès à la chefferie de Montréal? Bob Rae se retrouve aujourd'hui dans une position presque aussi fausse que celle de son ancien condisciple à l'université, Michael Ignatieff. Il a quitté le NPD pour rallier les Libéraux, assez clairement dans l'espoir de se rapprocher du pouvoir, et c'est maintenant le NPD qui forme l'Opposition officielle et qui se rapproche du pouvoir. De plus, si les Conservateurs ont obtenu une majorité, ce serait en partie parce que des électeurs ontariens, encore échaudés par le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae, ont voté à droite pour contrer la montée du NPD.

Dans ces circonstances, un Néo-Démocrate devenu Libéral pourrait plaider que l'électorat ontarien, qui décide du sort des élections, pourrait préférer la copie édulcorée à l'original — qu'au lieu de voter pour les Néo-Démocrates inexpérimentés de Layton, les Ontariens pourraient opter pour un Néo-Démocrate «assagi». Mais cet argument s'applique difficilement quand le Néo-Démocrate en question est le repoussoir en personne. De plus, le temps joue contre Rae, qui aura 67 ans en 2015, quand les prochaines élections ont des chances d'avoir lieu.

Le Parti libéral se tournera-t-il vers d'autres chefs? Beaucoup ont été battus dans leurs propres circonscriptions. Il reste des jeunes, comme Justin Trudeau et Dominic Leblanc, des fils à papa mal placés pour incarner le changement — ou pour démontrer la poigne des self-made men à la Harper.

Ceci dit, les deux plus grandes provinces du pays sont gouvernés par des Libéraux de plus en plus impopulaires. Avant ou après les prochaines élections provinciales, d'anciens ministres ou des personnalités pourraient choisir de faire le saut dans l'arène fédérale en espérant que l'impopularité de leur parti provincial ne les rattrape pas dans le cadre fédéral. Un tel transfuge pourrait briguer la chefferie des Libéraux fédéraux, mais bien malin qui saurait citer des noms à ce stade...

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