2011-05-04

 

La politique canadienne et la neurologie humaine

Une étude scientifique récente par le groupe de Ryota Kanai est venue identifier des différences neurologiques liées aux préférences idéologiques (un sujet de recherche en soi). Celle-ci corrélait les orientations politiques et certaines différences au niveau de l'anatomie du cerveau. En particulier, les votes plus à droite étaient associés à une surestimation des menaces par les mécanismes perceptuels du cerveau tandis que les votes plus à gauche étaient associés à une plus grande capacité à gérer des informations complexes et contradictoires, mais aussi à l'empathie et le raisonnement, bref, à une certaine ouverture aux points de vue complexes et à une prédisposition à se mettre à la place des autres.

Comme d'habitude, on peut se demander si c'est la biologie qui explique les choix politiques ou si ce sont les choix politiques qui influent sur le fonctionnement et l'évolution du cerveau, dont la plasticité est désormais reconnue.

En principe, il n'y a pas de raison de penser qu'un trait soit plus répandu que l'autre. Il convient de noter qu'il ne s'agit pas de porter un jugement de faveur de l'un ou l'autre trait, ou d'opposer paranoïa et naïveté, méfiance et candeur. A priori, dans l’état de nature, chacun de ces traits a ses avantages selon les circonstances. Interpréter un froissement des branches dans le noir comme un signe de la présence d’un fauve, même s’il n’y a pas de prédateur aux aguets, c’est avantageux quand cela réduit les chances de se faire dévorer. Prendre le risque de l’ouverture à des informations inhabituelles et d’envisager l'inattendu et la nouveauté, c’est aussi avantageux quand il s’agit de découvrir de nouvelles sources de nourriture, même si on tombe parfois sur une plante toxique ou indigeste, par exemple.

Il faut sans doute exclure également que la dichotomie soit parfaite et universelle — que les individus soient toujours et en tout temps portés à se méfier ou à s'ouvrir à la nouveauté. Une surestimation des risques n’interdit pas une ouverture occasionnelle au changement, de même qu’une plus grande audace intellectuelle n’empêcherait pas les individus de se montrer précautionneux quand les circonstances l’exigent.

Néanmoins, cette étude suggère que la dichotomie entre droite et gauche est très profondément enracinée dans notre architecture neurologique et qu’il serait vain d’espérer convertir l’entièreté d’une population à la xénophobie ou, inversement, à la compassion systématique. Il y aurait toujours une portion de la population réfractaire aux idées de la pensée dominante, qu’elle soit de droite ou de gauche. La démocratie pratiquée depuis deux ou trois siècles par un nombre grandissant de pays l’a démontré de manière assez constante, avec quelques variantes curieuses (le statu quo défendu contre les innovations peut être le communisme, par exemple, dans le contexte russe des années quatre-vingt-dix) attribuables à l’émergence (momentanée) de groupes d’intérêt propres.

Mais plus le suffrage a été élargi par les uns et par les autres dans l’espoir qu’un nouveau groupe d’électeurs (les femmes, les jeunes, les minorités) pencherait plus d’un côté ou de l’autre, plus on a observé que les différences étaient rarement décisives et que tout se jouait à la marge. D’où le choix fréquent de laisser les choses se décider à la majorité simple, en définitive.

Le système électoral canadien a démontré cette semaine qu’il est puissamment capable de convertir de très minces avantages électoraux en majorités au service d’un seul parti. Là où un système proportionnel reflèterait une division du vote, la division différenciée du vote produit, dans le contexte canadien, une nette majorité.

En 1997, Jean Chrétien avait converti 38,5% des suffrages en une majorité minimale de 155 sièges à la Chambre des Communes. Lundi, Harper a converti 39,6% des suffrages en une majorité de 167 sièges. En 1993, Chrétien avait converti 41,2% des suffrages en une nette majorité de 177 sièges.

Par contre, avec 37,65% des suffrages en 2006, Harper avait échoué près du but en n’obtenant qu’une minorité de 143 sièges. Ainsi, tout se joue (quand le vote est divisé en deux blocs de base et une masse intermédiaire d’indécis ayant le choix de plusieurs partis) sur quelques points de pourcentage. Si on peut le reprocher au système électoral canadien, on peut également l’interpréter comme une reconnaissance tacite de cette division inamovible de l’humanité en deux camps, celui de l’optimisme et celui du pessimisme.

Ainsi, une très ancienne tradition politique éprouvée au fil des siècles et une étude scientifique toute neuve s’entendent sur le caractère irréductible de certaines différences entre conservateurs et libéraux.

C’est ce qui m’incline à prendre avec un grain de sel les refus d’associer le nationalisme (presque toujours défensif dans sa forme politique) au conservatisme. Et c’est ce qui m’incline à penser qu’on s’illusionne au Québec en croyant qu’il n’existe pas un électorat nationaliste foncièrement conservateur dans la province. Celui-ci est peut-être plus réduit qu’ailleurs, mais croire que le conservatisme au Québec se limite au vote de lundi pour les Conservateurs, cela revient à croire qu’il manquerait aux Québécois la prudence hypertrophiée propre à la tendance conservatrice. Quand l’addition des votes bleus et bleu pâle au Québec équivaut à 40% des votes, j’ai l’impression qu’il est inutile de chercher trop loin le socle en question...

Cela dit, cette théorie n’explique pas tout. Très clairement, il existe deux blocs plus ou moins inexpugnables, chacun d’eux correspondant à une fraction de la population qui représenterait entre 40% et 50% du total selon les circonstances. Mais il reste une fraction de l’ensemble qui est plus mobile, qui peut se porter dans un camp ou dans l’autre selon les circonstances. À quoi correspond-elle, humainement parlant? Si on élimine de l’équation la forme d’empathie qui gouverne l’ouverture à gauche, d’une part, et l’hostilité à l’altérité qui gouverne la recherche et l’identification de menaces à droite, d’autre part, il demeure une forme plus détachée de curiosité, plus amorale en un sens mais aussi plus neutre, voire plus scientifique. Il faudrait organiser une étude pour l'étudier, tiens...

Cela expliquerait peut-être la part congrue dévolue à la science dans les grands rendez-vous électoraux, si elle n’intéresse pas viscéralement les bases de part et d’autre mais seulement la frange flottante entre les deux...

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Comments:
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
 
Le lien dans le premier paragraphe est brisé.

Aussi, j'aime beaucoup ce 'infograph':
http://www.antipope.org/charlie/blog-static/2011/05/remember-to-vote.html

( :

Je me demande si le question des élections c'est pas trop gros de pessimisme et optimisme, mais des systemes mathematiques qui faire les résultats.
 
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