2011-04-27

 

Les fictions du chaos

Dans le court roman L'Humain de trop (Coups de tête, 2011) de Dominique Nantel, l'action ne manque pas. Une jeune fille quitte le village familial en emportant les économies du ménage. Très rapidement, la jolie Fasciola se retrouve dans une ville flottante en plein océan, Cité-sur-Mer, où cohabitent les riches de ce monde et une faune interlope bigarrée ou pittoresque (selon l'adjectif conventionnel que vous préférez). Après avoir été en butte aux tentatives d'exploitation usuelles dans ce contexte, Fasciola fait la rencontre de Mitri, un jeune itinérant qui est en fait un squatter audacieux (le meilleur dans son genre, bien entendu). Chaque nuit, il s'installe dans une nouvelle demeure dont il a violé l'intimité. Les deux jeunes gens bénéficient de la protection de Sweet, un colosse qui recherche sa mère dans les vidéos pornos qu'il visionne, mais leur rencontre attise aussi la jalousie d'une soupirante transie de Mitri, qui le dénonce aux traqueurs professionnels de squatters. Mais comme Fasciola tombe dans le piège tendu à Mitri, c'est la mère de Fasciola qui entre alors en scène en déclenchant un mouvement populaire mondial (afin de forcer les employeurs des traqueurs de squatters à libérer sa fille) qui va provoquer la révolution dans Cité-sur-Mer.

L'unique idée à relever de la science-fiction surgit dans les toutes dernières pages. L'autrice, qui est une scientifique, exploite une forme de parasitisme bien connue, mais pas chez l'humain, afin d'expliquer le comportement parfois mystérieux de Fasciola. (Dans le cadre de l'histoire, la transposition chez l'humain ne tient pas, car si l'infection était fréquente, Mitri aurait été au courant des symptômes de cette contamination chez Fasciola.) Sinon, le reste du récit verse sans aucun doute dans l'anticipation, mais le futur indéterminé assez caricatural, la ville sans grande raison d'être et les personnages colorés (mais sans grande profondeur) rappellent surtout un univers de BD, plus axé sur les ambiances et les surfaces. Il manque à l'ensemble la cohérence d'un véritable univers de science-fiction, qui tient par un faisceau de correspondances, alors que Nantel procède en chargeant le tableau de traits singuliers ou frappants sans s'inquiéter du portrait d'ensemble. La révélation de liens familiaux unissant plusieurs personnages achève de subordonner le cadre à l'intrigue, comme dans une pièce de théâtre où les mariages à venir comptent plus que tout le reste.

La description d'une société mondiale en pleine déliquescence peut rappeler, comme je l'indiquais dans le cas de Gélinas, l'existence sans repère ni balise des personnages de Sernine dans le monde de « Stardust Boulevard ». Mais si certains personnages de Sernine souffraient de cette absence de tout but, ceux de Nantel (voire de Gélinas) ignorent les séductions de finalités qui transcenderaient leur quotidien individuel.

S'il y a révolution, c'est la mère de Fasciola qui la déclenche et quasi par inadvertance. Les jeunes protagonistes n'auront été qu'un élément déclencheur, tout comme ils étaient aussi les victimes d'un ordre des choses les dépassant. Ce serait tentant d'en tirer des conclusions sur l'atmosphère sociale et politique du Québec actuel, mais ce ne serait pas facile de départager ici ce qui relève de l'esprit des temps et ce qui relève d'une tradition littéraire (établie depuis au moins Blade Runner et le cyberpunk) qui a permis au roman noir de fournir à la science-fiction un ensemble de représentations codifiées de la déglingue urbaine.

Cela dit, il convient de signaler l'efficacité de l'écriture qui résume de manière aussi saisissante qu'alerte la trajectoire de plusieurs personnages. Nantel inclut, de façon fort habile, un élément prémonitoire incarné par le personnage de Pacifique O'Bomsawin — l'Indien — dont les vaticinations fournissent à la fois le titre, la fonction du personnage principal et le mot de la fin.

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