2011-01-20

 

Les pompiers pyromanes

L'autre jour, c'était le ministre des Finances du Canada qui jouait les sauveurs de l'économie canadienne en resserrant les conditions d'obtention de prêts adossés à des biens immobiliers — en réduisant la période d'amortissement des prêts garantis par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) de 35 ans à 30 ans, en réduisant de 90% à 85% le pourcentage maximal de la valeur d'une maison ou appartement que les propriétaires peuvent utiliser pour une nouvelle hypothèque et en cessant de soutenir les consommateurs qui obtiennent des marges de crédit en utilisant la valeur de leur bien immobilier comme caution afin de financer des achats que le ministre réprouve...

Flaherty s'est ensuite vanté en laissant entendre qu'il évitait au Canada l'implosion — comme aux États-Unis — d'une bulle immobilière. Avait-il tort? Peut-être pas, mais il faut rappeler qu'en 2006, la SCHL avait commencé à financer les hypothèques sur 35 ans et qu'en 2007, la SCHL avait laissé les Canadiens acheter des logis sans mise de fonds, avec un amortissement de 40 ans. L'effet de ces nouvelles règles sur la flambée des prix de l'immobilier (au moins à Calgary, mais on peut généraliser pour la plupart des régions canadiennes) est mis en évidence par ce blogue, qui fournit un beau diagramme...

Or, qui donc était ministre des Finances en 2006? Nul autre que Jim Flaherty, nommé au cabinet en février 2006. Par conséquent, s'il a raison de resserrer les conditions du crédit hypothécaire maintenant, il faut aussi le blâmer de n'avoir rien fait pendant cinq ans — et d'avoir à tout le moins laissé faire la SCHL en 2006. Arrivera-t-il à éteindre sans trop de casse l'incendie qu'il a laissé brûler tout ce temps? Espérons-le, pour notre propre bien...

Hier, Jean Charest accueillait le rapport Bastarache avec un grand sourire, en laissant entendre qu'il était blanchi de tout soupçon (ce qui n'est pas tout à fait le cas, le commissaire Bastarache s'étant contenté d'adopter une définition des preuves requises qui lui permettaient d'écarter les témoignages contradictoires et de ne s'en tenir qu'aux documents les plus positifs, de sorte qu'il devient possible de conclure qu'aucun doute ne subsiste — tout prétexte à doute ayant été exclus d'emblée) et que les réformes proposées seraient examinées dans la perspective d'une adoption éventuelle.

Comme tout le monde l'a relevé, un rapport qui conclut, d'une part, qu'il ne s'est rien passé d'anormal ou d'inquiétant, mais que, d'autre part, il faut changer le système de nomination des juges est plutôt incohérent. Dans le rapport Bastarache, le passage clé est peut-être bien le suivant (p. 216) : « Je crois également que l'absence d'encadrement législatif et de précisions sur les responsabilités des membres de l'exécutif à l'égard de la nomination des juges, ajoutée au manque de transparence du processus, peut laisser place à l'exercice d'influences inappropriées dans ce processus. Il laisse certainement place à la perception que de telles influences sont exercées. Je suis donc d'avis qu'il est nécessaire de combler cette importante lacune. »

Or, ce qui s'est passé depuis l'entrée en fonction de Jean Charest comme premier ministre, c'est que contrairement à ce qui se passait depuis 1994, il recevait les rapports du comité de sélection des juges et la recommandation du ministre de la Justice alors que les premiers ministres précédents avaient laissé leurs ministres effectuer les nominations des juges sans s'en mêler. (Tout au plus Paul Bégin informait-il le premier ministre, en 1994-1997 et 2001-2002, de sa recommandation quelques minutes avant le Conseil des ministres qui entérinait son choix.) Certes, Jean Charest n'aurait jamais rejeté une recommandation du ministre de la Justice, mais le fait même de savoir que cette recommandation serait connue non seulement du premier ministre mais de la responsable de son bureau, Chantal Landry, laisse la porte ouverte à des pressions en sous-main, en particulier en amont, si le ministre de la Justice est le moindrement perméable aux considérations partisanes...

Là encore, Jean Charest aura l'occasion d'éteindre l'incendie qu'il a allumé. Contrairement à Flaherty, il ne semble pas encore déterminé à le faire. Auquel cas il ne serait qu'un pyromane ordinaire...

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Comments:
En tout cas, je travaille avec des pompiers tous les jours et eux au moins, ils ne les allument pas, les feux, ils ne font que les éteindre... :)

Et pour ce qui est de la politique, j'ai perdu depuis longtemps espoir, hélas!
 
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