2010-12-09

 

Un colloque au CIRST

Le programme des Journées 2010 du CIRST était fourni (.PDF), mais il se limitait à une seule journée. Contrairement, il me semble, à certaines éditions précédentes.

La session du matin était la plus intéressante pour un historien, même si j'avais dû me lever tôt pour arriver à Longueuil en autocar et prendre le métro afin d'être là pour le début à 9 h 30. La présentation de François Duchesneau portait sur le concept d'organisme, préfiguré par le modèle du cerveau de Sténon et aussi par la Cosmologia sacra (1701) de Nehemiah Grew, envisagé par Georg Ernst Stahl et pleinement articulé par Leiniz. À la croisée du mécanicisme, de l'anatomie microscopique et de l'anatomie comparée, Leibniz faisait déjà référence en 1695 à la « machine de la nature », mais il explicite en 1704, dans une lettre à Lady Masham, la notion de l'organisme en se référant à une organisation biologique non seulement semblable à une machine dans son ensemble, mais dont les parties sont également semblables à une machine et se composent de sous-parties également semblables à des machines, et ainsi de suite... Leibniz complète ainsi un élan de la pensée philosophique amorcé, entre autres, par Descartes et aussi par Thomas Hobbes, dont les premières lignes du Leviathan notaient en 1651 : « Nature (the art whereby God hath made and governes the world) is by the art of man, as in many other things, so in this also imitated, that it can make an Artificial Animal. For seeing life is but a motion of Limbs, the begining whereof is in some principall part within; why may we not say, that all Automata (Engines that move themselves by springs and wheeles as doth a watch) have an artificiall life? For what is the Heart, but a Spring; and the Nerves, but so many Strings; and the Joynts, but so many Wheeles, giving motion to the whole Body, such as was intended by the Artificer? » Ce qui était une imitation est devenu un modèle, mais, depuis Descartes, les philosophes n'ont cessé de parler de la vie en termes machiniques et Leibniz ne se distingue peut-être de ses devanciers qu'en prenant des exemples techniques plus sophistiqués (on passe des automates mouvants de Descartes à des moulins). Il y avait depuis longtemps une labilité certaine de termes comme « organe » qui renvoyait, dès les Grecs, aussi bien à des organes vivants qu'à certains mécanismes (comme l'orgue!)... Mais je m'éloigne des propos de Duchesneau, dont on voudra lire le livre, Leibniz, le vivant et l'organisme.

Ensuite, Frédéric Bouchard a discuté du concept d'individu biologique, qui est devenu un peu flou dans la science moderne en raison de l'adoption du concept de colonies, de clones (végétaux, arboricoles), de symbioses et du fonctionnement quasi biologique de certaines constructions (les termitières). Il note qu'à la fin du XIXe s., les fonctions ont pris de l'importance au détriment de conceptions plus holistiques... Distrayant et instructif.

Enfin, Julien Prud'homme a enchaîné avec une communication sur la ductilité et la malléabilité du concept d'autisme. Celui-ci serait devenu, au Québec sinon en Amérique du Nord, le principal prisme d'interprétation des déviances. Diagnostic de substitution? Cette possibilité est confortée par le fait que, dans le système scolaire québécois, par exemple, les diagnostics de certaines dysphasies auraient diminué au fur et à mesure que les diagnostics d'autisme augmentaient. Surtout que le spectre des troubles reliés à l'autisme s'est nettement élargi après 1990, au plus grand profit de certaines spécialités et ressources québécoises qui étaient en quête de nouveaux rôles.

En fin de matinée, Jean-Pierre Beaud a recensé certaines dimensions du débat politico-scientifique autour de la version longue du recensement canadien. D'une part, tous les statisticiens s'accordent pour dire que le caractère obligatoire est plus important que la taille de l'échantillon : si on opte pour une enquête auprès de 30% de la population sans qu'une réponse soit exigée, le résultat sera moins fiable et utile qu'un recensement détaillé et obligatoire de 20% de la population. D'autre part, le gouvernement a accumulé les arguments (spécieux, en ce qui me concerne), allant de l'incontestable (« 30%, c'est plus que 20% ») aux arguments idéalistes (les données fournies volontairement seront plus fiables que les données obtenues par coercition). Ce faisant, il a soulevé des débats intéressants.

Par exemple, doit-on inclure l'ignorance, l'incompréhension, etc. dans les réponses, comme ce sera le cas dans un sondage obligatoire, ou vaut-il mieux les exclure a priori en ne réclamant que les réponses des personnes capables de répondre? En un sens, dans le second cas, les réponses reflètent mieux l'état réel du civisme des Canadiens et de la démocratie canadienne, en excluant d'avance ceux qui en sont exclus ou s'en excluent de toutes façons... Mais si un recensement sur une base volontaire attire la même participation déclinante que les élections, ce sera bien vite la majorité du pays qui n'apparaîtra plus dans les chiffres officiels — ce qui ne déplairait pas forcément aux Conservateurs de Harper.

À l'ère de la transparence, peut-on défendre un sondage qui n'était effectivement obligatoire qu'à la faveur d'un voile d'ignorance ? La plupart des répondants ignorant que les pénalités annoncées en cas de refus de répondre n'avaient pratiquement jamais été appliquées...

Cela dit, la tendance récente des sondages de Statistique Canada à faire une place aux questions sur les perceptions des gens, et non sur des réalités concrètes, prêtait parfaitement le flanc à la rhétorique démagogique des Conservateurs. Les sciences sociales ont aussi souvent démoli l'État que les néo-conservateurs, d'ailleurs, en prêchant la méfiance de l'autorité, etc. Du coup, les puristes se retrouvent... De plus, l'évolution même du Canada sur le sujet de la tolérance et de l'acceptation des différences a compliqué la tâche de défendre un recensement qui pose des questions sur les différences en risquant de réifier des groupes (autres que ceux qui sont officiellement reconnus par la Constitution) de manière inégalitaire.

Bref, si j'interprète un peu (beaucoup), le recensement fonctionnait comme une boîte noire, mais maintenant que l'ouverture de la boîte noire suscite des doutes, les défenseurs de la transparence sont mal placés pour réclamer qu'on la referme.

Ensuite, Jean-Guy Prévost a offert un petit survol des solutions de rechange au recensement dans les autres pays. De nombreux petits pays se basent non sur des recensements mais sur l'exploitation de registres administratifs — dans lesquels il est plus ou moins obligatoire de s'inscrire. Le seul grand pays à employer cette solution est l'Allemagne, pour des raisons historiques et politiques. (Paradoxalement, les Allemands trouvaient un recensement plus intrusif et contraignant que l'inscription dans des registres pas nécessairement plus sûrs...) D'autres pays ont opté pour des solutions mixtes et la France procède depuis quelques années à un recensement tournant sur une base régionale complété par des enquêtes annuelles.

Pour ceux qui voudraient sauver le recensement long, il y a un site (en anglais).

Les présentations ont pris fin avec une communication de Pierre Doray sur les palmarès universitaires qui font fureur depuis quelques années en opposant les universités à l'intérieur d'un pays ou dans plusieurs pays. Au Canada, ces palmarès servent d'arguments à des universités dont la concurrence est aiguisée par la décroissance attendue des inscriptions étudiantes en raison de l'évolution géographique attendue. Quant à Yves Gingras, il a abordé le même sujet en établissant une distinction entre « évaluer » et « classer ». L'évaluation est toujours possible, mais il y a un effet de classement qui est une officialisation propice à toutes les instrumentalisations, si j'ai bien compris, dont l'évaluation des étudiants en fonction des universités dont ils sont issus. Après tout, il existe des organisations dont les évaluations sont valables (comme SCImago). De toute manière, la mobilité des étudiants est limitée dans la plupart des cas, même si les exceptions comprennent les étudiants les plus convoités (les plus riches ou les plus performants). Bref, il n'y avait pas beaucoup de fans des palmarès dans la salle... mais c'était peut-être naturel à l'UQÀM, qui est souvent la mal-aimée des sondages qui font la place belle aux perceptions...

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