2010-12-23

 

Science-fiction (trop) philosophique

Foucault et les extraterrestres (Triptyque, 2010) est le premier roman de Patrick Doucet, professeur de psychologie au cégep Marie-Victorin qui avait déjà signé un livre de voyage. L'ouvrage est court, dépassant à peine la centaine de pages, et le propos romanesque réduit à la portion congrue. L'essentiel du texte consiste en deux contes philosophiques relatés par deux personnages distincts. Au premier abord, les rapports entre le professeur Leroux — célèbre anthropologue spatial du XXIIe s. — et sœur Chahine — une religieuse qui pratique l'archéologie sur Terre à la même époque — peuvent faire penser à la relation épistolaire entre Galilée et sa fille Maria Celeste, une nonne. Mais le professeur et l'archéologue sont deux égaux dans l'ouvrage de Doucet — deux pairs qui correspondent en se faisant part de leurs découvertes respectives et qui s'aiment malgré la distance qui les sépare lorsque le professeur part pour explorer un autre système solaire et procéder à une enquête ethnologique sur une nouvelle espèce de sophontes. Toutefois, le lecteur constate vite que ces deux personnages ne sont guère que des prétextes à la relation des deux contes philosophiques en cause.

Le roman se termine sur leur ultime conférence conjointe, alors que Chahine relate une nouvelle variante du récit biblique de la Chute, révélée par ses investigations du passé de la Terre, tandis que le professeur Leroux raconte son observation de la planète P, dont les habitants se distinguent par leur destin particulier : nés d'un volcan, incapables de se reproduire, ils s'emparent d'une parcelle de terrain qui leur appartient, où ils font leur trou et où poussent des arbres à livres qui les fournit en lecture. Et lorsqu'ils terminent un livre, ils le déposent près de leur trou, édifiant à force qui un mur qui une tour (de Babel?). Ces créatures symbolisent assez clairement les savants, les lettrés, les érudits, bref, les amants du savoir qui se font d'une spécialité de la connaissance un bastion...

En fait, l'auteur oppose deux leçons tirées de ces deux allégories. Dans le nouveau récit de la Chute, c'est le chien qui est créé à l'image de Dieu, et à qui Dieu donne un compagnon, Adam (auquel il adjoint ensuite Ève). Mais Canis le chien, qui est doué de parole, se laisse circonvenir par le Serpent qui lui promet un os en échange de de chaque mot connu de lui. Le pauvre animal échange donc la pensée verbale, bref, la connaissance, pour l'aisance matérielle : c'est ce que le professeur Leroux appellera le marché de Canis. Sur la planète P, le professeur s'est intéressé par contre à Zipps, un héros des Pés (comme il appelle les habitants de ce monde). Zipps s'est lancé dans la lecture tous azimuts, s'ouvrant à toutes les catégories de livres alors que la plupart de ses congénères sont plus sélectifs. Ceci lui permet d'échafauder une tour dotée d'une saillie qui se projette dans la direction de ses voisins et lui permet d'aller à la rencontre de l'un d'eux, ou de voir plus loin — même s'il voit mieux le volcan originaire, toutefois, il ne peut en percer le secret. Ou échapper à la mort.

C'est ce que le professeur appelle le pari de Zipps, qui consiste à consacrer sa vie à la satisfaction de la curiosité intellectuelle qui nous sort de nous-mêmes en s'ouvrant à la pensée des autres (ce qui correspond au message d'une citation de Michel Foucault tirée de son introduction à L'usage des plaisirs, « C'est la curiosité - la seule espèce de curiosité, en tout cas, qui vaille la peine d'être pratiquée avec un peu d'obstination: non pas celle qui cherche à s'assimiler ce qu'il convient de connaître, mais celle qui permet de se déprendre de soi-même. » — d'où le titre du livre de Doucet).

Le roman peut s'achever dès lors — ce qui ne manque pas d'arriver, une bande d'extrémistes faisant sauter une bombe qui met fin aux jours du professeur Leroux et de sœur Chahine.

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