2010-12-24

 

Les statistiques du cancer en France

Dans certains milieux français, on s'énerve beaucoup en répétant à l'envi que le nombre de cancers en France a augmenté de tel ou tel pourcentage faramineux. Par exemple, cet article de février 2010 prétend que :

« Le contexte général de l’enquête menée par Génération futures (ex MDRGF) et le réseau européen Health & Environnement Alliance est bien connu : le nombre de cancers explose et cette épidémie ne peut pas s’expliquer uniquement par des facteurs génétiques et par la consommation d’alcool ou de tabac. Les facteurs environnementaux, au sens large, doivent être pris en compte pour expliquer qu’entre 1980 et 2005, l’incidence du cancer a progressé de 93% chez l’homme et de 84% chez la femme (données InVS). »

Ces chiffres sont exacts et, pourtant, ils relèvent de la désinformation. Le terme est brutal, mais si tout le monde prenait le temps de vérifier la source des affirmations qu'on relaie, la Toile ne serait pas un capharnaüm où se mêlent le vrai et le faux. Prenons, par exemple, l'affirmation qu'il faut tenir compte des facteurs environnementaux pour expliquer la progression de l'incidence du cancer — ce qui laisse entendre qu'ils expliqueraient une fraction non-négligeable de cette augmentation.

Or, si on visite le site de l'Institut de veille sanitaire, on trouve certes le rapport (.PDF) à l'origine de ces données. Et on lit en effet en page 2 que « En 25 ans (1980-2005), l'incidence du cancer a quasiment doublé chez l'homme (+93 %) et fortement augmenté chez la femme (+84 %). » Mais on dirait que les auteurs de l'article n'ont même pas lu jusqu'à la fin de la page 2, car on y trouve aussi la déclaration suivante :

« Ces augmentations sont liées notamment à l'essor démographique et au vieillissement de la population, l'augmentation du risque intervenant pour 52 % chez l'homme et 55 % chez la femme. »

Parce que, s'il faut vraiment tout expliquer, il y a plus de Français et de Françaises aujourd'hui qu'en 1980. Il est donc parfaitement naturel que le nombre de cancers ait augmenté puisqu'il y a tout simplement plus de personnes susceptibles de tomber malade.

Parce que, depuis 1980, la population française dans son ensemble a vieilli (on se souviendra du débat sur les retraites, non ?). Or, l'incidence du cancer est plus élevée en fin de vie ; quand une grosse tranche de la population passe de moins de quarante ans à plus de soixante-cinq ans, le nombre de cas de cancer augmentera même si la probabilité qu'une personne de soixante-dix ans soit touchée par le cancer reste absolument pareille.

Ainsi, une fois les chiffres corrigés pour tenir compte de cette augmentation démographique et de ce vieillissement, il reste une élévation du risque d'un diagnostic de cancer, cette augmentation plus juste et plus proche de la réalité étant de 52% chez l'homme et de 55% chez la femme. Ce qui correspond à un « excès » de 46 000 cas environ chez l'homme et de 34 200 cas environ chez la femme.

Chez l'homme, l'essentiel de cet excès est constitué par les diagnostics additionnels de cancers de la prostate (41 000 diagnostics non expliqués par la démographie ou le vieillissement), qui comptent pour près de 90% de cet excès. Or, cette montée en flèche des cas de prostate s'expliquerait essentiellement (jusqu'à preuve du contraire) par l'introduction de nouveaux tests qui n'existaient pas en 1980. Des études récentes suggèrent d'ailleurs que beaucoup de ces diagnostics sont « inutiles » dans la mesure où il s'agit d'un cancer à évolution si lente dans certains cas que beaucoup d'hommes vieillissants risquent de mourir d'autres causes avant d'y succomber.

Chez la femme, cet « excès » est d'abord constitué par les diagnostics additionnels des cancers du sein (19 000 diagnostics non expliqués par la démographie ou le vieillissement), qui comptent pour la majorité (55%) de cet excès. En grande partie, c'est le résultat de diagnostics plus fréquents (examens mammaires, etc.). Dans ce cas aussi, des études récentes ont soulevé la question de la possibilité qu'on diagnostique des cancers si précoces qu'ils auraient connu une rémission spontanée même sans traitement. Une autre fraction de l'excès est représentée par les 4 000 diagnostics en excès de cancers du poumon, soit près de 12% de l'excès, attribuables en grande partie à l'augmentation du tabagisme chez les femmes depuis cinquante ans. Bref, rien de très mystérieux dans tout cela, même si chaque diagnostic est une tragédie.

Je résume.

Chez l'homme, si on fait abstraction de la démographie, du vieillissement et du cancer de la prostate, la véritable augmentation du risque d'un diagnostic de cancer n'est pas de 93%, mais de 6%. Mettons 5-10% en admettant qu'une partie de l'augmentation des cancers de la prostate soit due à des causes organiques potentiellement liée à des facteurs environnementaux. Chez la femme, la situation est plus compliquée puisque l'incertitude plane en partie sur les causes organiques des cancers additionnels du sein et du poumon, mais le résidu inexpliqué serait plus près de 15-20% que de 84%.

Il est parfaitement possible que de telles augmentations soient attribuables en tout ou partie à des facteurs environnementaux (prétendons un instant que la cigarette n'est pas une source de pollution de l'environnement immédiat...). Je privilégie moi-même une alimentation plus bio depuis quelques années, en partie pour des raisons de santé, mais aussi en songeant à la protection de l'environnement et de la biodiversité des espèces domestiquées.

Cela dit, il existe une autre partie du rapport de l'InVS que le message ci-dessus passe sous silence. Toujours en page 2, on note que : « Globalement, le risque de mortalité par cancer a diminué ces 25 dernières années (-25 % chez l'homme et -20 % chez la femme). »

Bref, compte tenu de l'augmentation de la population et de son vieillissement, le risque de mourir d'un cancer a diminué depuis 25 ans en France. Les cancers les plus agressifs liés à la prise d'alcool ou de tabac sont moins nombreux, tandis que les autres se guérissent mieux (ou auraient guéri de toute manière, mais c'est un autre débat). Quant au reste, eh bien...

L'épidémiologie est une science difficile. Je n'ai fait que relever ci-dessus quelques évidences, mais il existe des débats de spécialistes beaucoup plus compliqués que je ne peux pas aborder dans un billet aussi court. Ce qui devrait inciter tout le monde à la prudence au moment de succomber à des effets d'annonce trop alarmistes. On oublie trop souvent que la droite n'est pas seule à exploiter la peur dans l'espoir de gagner une partie de la population à sa cause. Le rôle joué par le terroriste musulman à droite est parfois tenu à gauche par le méchant polluant chimico-industriel...

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Comments:
Les statistiques sont la première source d'intox aujourd'hui, du moins, à première vue.
On est tout de même frappés du nombre de cas de cancers autour de nous, du nombre de ceux qui en sont morts et du nombre de ceux qui vont en mourir, parmi nos proches et ça, c'est nouveau !
On tarde beaucoup à retirer du marché nombre de substances pharmaceutiques ou phytosanitaires douteuses pourtant déjà interdites dans d'autres pays... Cherchez les assassins !
Les traitements inhumains appelés "protocoles" indignes du serment d'Hipocrate, poursuivis aveuglément dans les hôpitaux jusqu'au bout sont la honte de la médecine. Et les politiques, pendant ce temps là amortissent l'Airbus de la République...
 
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