2010-12-15

 

Accélérer la matière... puis l'esprit

En janvier 2007, je notais en passant l'expression de certains doutes relativement à la Singularité de Vinge et Kurzweil. Les progrès techniques depuis cinquante ans n'ont pas tellement bouleversé le paysage des pays industrialisés : automobiles, avions et trains se déplacent plus ou moins à la même vitesse qu'avant (il y a plus de TGV dans le décor, mais le Concorde a été abandonné). En revanche, sur une période plus longue, on ne peut nier que de nouvelles technologies ont accéléré l'allure de nos déplacements depuis le XVIIIe siècle : routes macadamisées, trains, bateaux à vapeur, automobiles, avions... En même temps, la vitesse des communications a augmenté encore plus vite, de l'allure du cavalier aux fesses les plus endurcies jusqu'à la vitesse de la lumière, même si cette accélération semble également plafonner depuis quelques décennies.

Ce qui change désormais, c'est la bande passante. Au temps du code Morse, elle était ridicule. Désormais, on peut regarder la télévision au téléphone... Cette révolution associée à l'essor de l'informatique personnelle et d'internet n'a pas bouleversé immédiatement les statistiques de la productivité économique, de l'avis de plusieurs économistes, mais elle commence peut-être à produire des effets tangibles — dans le contexte d'une crise économique qui n'est pas sans rappeler le contexte de la Dépression qui aurait stimulé le développement de nouvelles technologies, l'investissement dans l'innovation et le pari sur le futur.

Même si le contenu qui accapare cette bande passante n'est pas toujours enthousiasmant, la conjonction de la communication à la vitesse de la lumière et de l'accès à l'information sans limite ou presque induit peut-être une accélération moins évidente que celle qui résultait des grandes inventions du passé. Cette fois, ce ne sont plus les marchandises qui se déplacent plus vite (par avion, par camion, par cargo), mais c'est le travail humain qui est accéléré. Prendre rendez-vous pour un déjeuner d'affaires ? Pourquoi faire quand il suffit d'appeler pour se parler... Du coup, c'est le rythme de la journée de travail qui s'emballe. C'est l'enchaînement des tâches. C'est la cadence de nos pensées.
(Juin 1942, Edgewood Arsenal, Maryland : recyclage de masques à gaz — Library of Congress LC-USW3- 004787-D)

De fait, l'ambiguïté de cette nouvelle accélération, c'est bien qu'elle ne concerne plus uniquement les objets de notre quotidien (meubles suédois, gadgets chinois, fruits des antipodes...) mais qu'elle s'en prend désormais à nous. Nous profitons de cette accélération, mais nous la subissons aussi. Elle fait de nous des facteurs de productivité accrue. Et ce qui était confiné autrefois aux heures de travail de l'ouvrier asservi à une chaîne de montage envahit désormais toutes les sphères du quotidien. Le moindre différend entre deux individus peut générer autant de courriels qu'il fallait autrefois de télégrammes et de missives pour déclencher une guerre mondiale — avant d'aboutir à une conférence de paix à temps pour la fin de semaine. Autrefois, on discutait avec ses camarades des émissions de télévision, le lendemain, au bureau ou au café; aujourd'hui, on peut donner son avis en direct par Twitter, Facebook, etc. L'époque du travail à la chaîne exigeait une adaptation réciproque de l'humain et de la machine, mais quand plus personne ne dicte le rythme de fonctionnement de l'environnement médiatisé, qui donc pourrait le ralentir au besoin?(Octobre 1942, Long Beach, Californie : travail d'installation et d'assemblage de composants électriques dans les locaux de la Douglas Aircraft Company — Library of Congress LC-USW36-97)

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