2009-11-01

 

Remplacements

L'appréciation du film Surrogates (Clones en français) dépend beaucoup des attentes initiales. Je m'attendais au pire : un film quasi incohérent, grevé d'idioties tant au niveau de la création de monde que du scénario... En définitive, si on juge le film pour ce qu'il est et non pour ce qu'il aimerait qu'il soit, il se laisse regarder.

En deux mots, dans une demi-douzaine d'années, une proportion importante de la population du monde (98% selon un reportage en exergue, un milliard de personnes selon un autre passage du film) vit désormais par procuration en s'incarnant par télé-présence dans des corps de remplacement robotisés, forcément beaux et jeunes. La plupart de ces personnes ne quittent plus guère leurs domiciles. Une tentative d'assassinat de l'inventeur de ces pseudo-corps va entraîner la mort de son fils et pousser l'inventeur à tenter de détruire toute la population branchée de la planète pour faire place nette. Un enquêteur du FBI (joué par Bruce Willis) tente de comprendre ce qui se passe et finit par avoir le sort de tous les corps de remplacements entre les mains. Comme il pleure d'une part la mort d'un fils tué par un accident meurtrier dans le monde extérieur et qu'il regrette d'autre part de ne plus voir sa femme, qui ne sort de sa chambre que sous forme robotisée, il pourrait incliner dans un sens ou dans l'autre...

Cet univers futuriste n'a pas grand-chose de futuriste, hormis les corps robotisés. Manque d'imagination de la part des auteurs ou façon pour eux de forcer le trait pour souligner la parabole?

Certes, la leçon est assénée avec toute la subtilité d'un marteau-pilon hydraulique, mais elle a des antécédents vénérables (que l'on songe à « The Machine Stops » d'E. M. Forster, il y a exactement... cent ans!) et je ne trouve rien de rédhibitoire à une remise au goût du jour. Surtout s'il est bien compris qu'il s'agit d'une fable. (Dans La possibilité d'une île, la possibilité d'une redite n'a pas fait reculer Michel Houellebecq, en tout cas.) L'application au monde présent est d'ailleurs suffisamment évidente pour que j'aie entendu un autre spectateur dans la salle conclure à la fin du film que c'était une condamnation de la vie par procuration des internautes.

Et sur le chemin du retour, dans les rues de Montréal par un soir d'Halloween, j'ai noté une absence. La nuit était tombée, mais il n'était pas tard. Pourtant, pas un seul petit monstre ou revenant dans les rues. Or, je traversais des quartiers résidentiels, qui auraient été sillonnés autrefois par des petits groupes d'enfants déguisés pour réclamer des bonbons. Étaient-ils restés à la maison pour regarder des films de peur? Ou leurs parents les avaient-ils tous conduits dans des fêtes de groupe?

Ne vivons-nous pas déjà l'époque de la substitution d'une réalité à une autre? Au lieu de vivre dans le monde de la chair incarnée, on préfère de plus en plus les intermédiaires virtuels (comme ce blogue!), les avatars (comme dans Second Life), les expériences partagées à demi virtuelles (visionnements de films ou de séries télévisées — sur DVD de plus en plus souvent, ce qui distancie aussi) et les rassemblements collectifs (au moins depuis Woodstock) qui sont d'autant plus légitimes que tout le monde dit qu'il faut en être...

Le film opte en fin de compte pour la franchise brutale d'une expérience directe de la réalité. On comprend pourquoi le personnage de Bruce Willis fait ce choix, mais on comprend moins pourquoi on devrait être d'accord. On passe d'un extrême à l'autre et des questions sont éludées par ce dénouement. Quid des personnes handicapées à qui ces corps de remplacement étaient originellement destinés? Et n'y aurait-il pas des avantages réels à disposer de corps de remplacement pour les boulots dangereux (comme celui de soldat ou de policier) ou tout simplement pénibles (travail à la chaîne, etc.)?

Bref, si le film est plutôt conventionnel, il se distingue des simples exercices obligés (comme 9) en offrant une vraie chair sous la surface plus ou moins stéréotypée — ce qui est tout l'inverse des remplaçants mécaniques du film, dont la chair cachait les mécanismes. Comme quoi Surrogates est en soi un argument en faveur de sa propre thèse...

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Comments:
Pour Surogates... peut-être faut-il comprendre "ne vivez pas QUE par procuration"...
 
L'Absence des petits monstres est put-être due à l'ambiance paranoïaque de notre époque, à la moindre générosité des assis, à la propagande alarmiste à propos de la grippe... mais comme je serais un parfait candidat pour cette chose, je ne peux critiquer. Il me reste à voir le film, quand il sortira en disque :-)
 
Mais si la parano et la peur de la grippe incitent les petits monstres à rester à la maison pour faire la fête entre eux, visionner des films ou bafrer, on n'est plus si éloigné de la vie par procuration que condamnent deux des principaux personnages du film... C'est encore la vie réelle, mais entre quatre murs (sans compter celui de l'écran de télé) et en fuyant tous les risques de la vie incarnée.
 
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