2009-06-28

 

L'éthique protestante et l'esprit du privilège

La semaine dernière, un ami me demandait s'il existait dans les sciences sociales des travaux aussi durables que les résultats fournis par les sciences exactes comme la physique, où on s'appuie encore selon les cas sur des formules des XVIIe (Newton), XIXe (Maxwell) et XXe (Einstein) siècles. J'ai répondu en citant un classique des sciences sociales, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme de Max Weber, qui date de 1904-1905. Malgré les critiques, l'ouvrage demeure incontournable pour aborder les problématiques qu'il a lui-même définies.

De plus, il peut encore jeter un éclairage utile sur des phénomènes modernes, comme l'entitlement dont je parlais en rapport avec les jeunes. Toutefois, cette culture du « tout m'est dû » n'est pas exclusive aux jeunes. Au contraire, elle pourrait procéder d'un mal plus répandu. La Californie, par exemple, est une fois de plus au bord d'un gouffre financier en raison des limites placées sur sa capacité fiscale en 1978 par un vote populaire qui décréta des restrictions sur les impôts fonciers et soumit toute augmentation de l'imposition à l'approbation du public. Or, comme on l'a vu en mai, c'est difficile d'obtenir cette approbation — et les chiffres semblent indiquer un très bas taux de participation, ce qui magnifie d'autant le potentiel de blocage d'une minorité. Il est tentant de conclure que, dans un tel contexte, il est aisé pour les votants de réclamer beaucoup tout en refusant de payer. C'est une forme de la culture du « tout m'est dû ».

S'il est logique pour un contribuable de refuser une augmentation de sa contribution fiscale, la question, c'est toujours de savoir si les avantages privés qu'il retire en conservant une plus grande part de sa paie ne sont pas annulés par la dégradation de l'environnement quotidien. On se plaint de la criminalité, on s'enferme dans des enclaves hyper-protégées, on déplore la détérioration des services publics et de la propreté publique... et on ne fait jamais le lien. Cette inconscience est à la base du rapport entre « private affluence » et « public squalor » — l'augmentation de l'affluence des individus accompagnant parfois l'augmentation de l'indigence publique — dont je parlais déjà en 2006. Et la résistance à l'imposition semble renforcée par la conviction que la richesse individuelle n'entraîne aucun devoir de solidarité, même dans l'intérêt d'une amélioration de l'environnement quotidien.

C'est ce refus qui me semble participer de la culture de l'entitlement. Weber suggérait qu'en gros, la pensée calviniste avait fait du succès matériel le signe concret du salut éternel, justifiant ainsi une vie consacrée au travail et à l'accumulation concomitante de richesses. Par conséquent, contrairement à la méfiance traditionnelle qu'inspirait l'enrichissement, l'éthique protestante favorisait le développement du capitalisme moderne. (C'est cette dernière conclusion qui est le plus critiquable, car une recherche même forcenée de la richesse ne rime pas nécessairement avec capitalisme.) Ce que Weber suggérait aussi par la bande, c'est que plus les tenants de cette croyance seraient prospères, plus ils se croiraient justifiés de l'être, une aisance moyenne pouvant n'être qu'accidentelle tandis qu'une prospérité éclatante serait clairement prédestinée.

De nos jours, on pourrait se demander dans quelle mesure l'idéologie néo-conservatrice n'a pas sécularisé le calvinisme, en susurrant tout bas que la richesse est la récompense du seul travail et accomplissement individuel, mais ce que l'analyse de Weber éclaire aussi, c'est le besoin de justification. Plus les riches sont riches, plus ils sont sûrs de leur bon droit, car plus ils ont besoin d'être sûrs de leur bon droit. Toute concession ouvrirait la porte au doute. De sorte que les manifestations d'égoïsme et d'entitlement pourraient être magnifiées par l'inégalité croissante. L'inégalité nourrit psychologiquement l'inégalité.

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Comments:
Ayant un peu lu Weber, a l'époque, et y ayant trouvé quelques lumières, et surtout du bons sens appliqué et raisonné, je ne peux qu'etre (en bonne partie) d'accord avec lui (et avec toi) , surtout en introduisant dans l,équation mes propres observations, qui confortent assez ce que l'on trouve dans le dernier paragraphe de ton billet...

Ceci dit, l'éthique protestante du travail a un bon coté (quand elle est adoptée et surtout vécue sans hypocrisie (comme une Chrétienté sans Église et véritablement charitable et humaniste, on peut rever la ;-) ) et sans servir uniquement de cache-sexe a l'avidité des possédants voulant posséder encore plus ou de repoussoir pour dénoncer les "pauvres qui le sont parcequ'ils le veulent bien" ) : elle donne l'espoir (souvent illusoire, mais pas toujours) que l'effort et le travail peuvent, mais je souligne ici, seulement _peuvent_ etre des valeurs positives et "payantes" parfois (pas nécessairement au sens monétaire, mais a celui de l'éthique et de l'exigence minimum envers soi, et pour soi e tpour les autres), des contructeurs de la personnalité, servir a une discipline raissonnée de vie effeicace ou les mots "travail" et "effort" , s,ils ne doivent pas etre adorés ni proposés comme panacées universelles et solutions a tous les mots, peuvent devenir autre chose que de quasi-obcénités, voire meme etre considéré raisonnablement comme des "valeurs positives" , si librement acceptés et accomplis, tout d'abord pour soi (ou au service des autres, dans une activité d'entraide ou de services aux plus mal lotis), consentis, dans de bonnes conditions et a juste salaire, et entrainant un développemen, accomplissementt et enrichissement humains personnels pour la personne qui sait bien s'en servir a ces fins précises...

Cela ne vaut pas la création, dans mon esprit, et pour moi, mais ce n'est pas négligeable non plus, toujours pour moi, et fait partie de l'équilibre satisfaisant d'une personne, je trouve...

The need of the many before the need of the few, et tout cela... ;-)

René
 
Pour répondre à la question au sujet des "classiques incontournable" des sciences sociales, il faut aussi compter la République de Platon, le Prince de Machiavel et la Richesse des nations de Smith.
Ils ont théorisé la politique humaine de la même façon que Newton l'a fait pour la gravité.
 
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