2009-06-03

 

Des idées, des suggestions et des rencontres

La première session de la journée aura peut-être été la meilleure, grâce surtout à la prestation de Richard Kerridge qui a fait ressortir avec beaucoup de finesse toutes les implications d'un poème de Ruth Padel sur le réchauffement climatique et la conjonction contradictoire de l'angoisse et de l'inaction. Citant au passage Ursula Heise pour Sense of place and sense of planet, Kerridge a su faire ressortir toutes les nuances d'un poème qui confine au petit matin, avant l'affrontement des réalités quotidiennes, les inquiétudes d'une femme face au réchauffement de la planète.

Pour sa part, Jeanne Hemming devait parler des identités masculines et féminines à l'enjeu dans les romans de Michael Crichton et Kim Stanley Robinson ; faute de temps, elle s'en est tenu au seul sujet de Crichton, qu'il est beaucoup plus facile d'analyser en ces termes. Dans State of Fear, la masculinité de l'homme étatsunien est assimilée au rejet de l'environnementalisme et de la fausse menace du réchauffement climatique : l'identité nationale forcément masculine est inséparable de la souveraineté du pays, voire de sa suprématie politique à l'échelle mondiale. De sorte que le souci de l'environnement est par défaut féminin, et conséquemment inférieur. Pour sauver l'environnement, il faudrait le masculiniser ou en faire un enjeu de la sécurité nationale des États-Unis. À en juger par les discours d'Obama, ce dernier est conscient du dilemme et a opté pour la seconde solution. N'empêche qu'on se demande si la tendance à suspecter des conspirations visant à assujettir les hommes des États-Unis à des gouvernements étrangers n'a pas été aggravée par la stagnation des revenus depuis quarante ans, qui aurait fait le lit d'une insécurité larvée tout à fait prête à chercher un bouc émissaire...

La dernière communication du matin a été le fait du jeune Justin Lerberg, qui a plaidé pour le rôle des nouvelles technologiques numériques comme moyen de révéler les réalités du monde non-humain et aussi de mobiliser les énergies populaires. Contrairement à une impression répandue, la connaissance de la culture de l'image serait suffisamment développée pour qu'il soit possible d'interpréter les images de manière à comprendre ce qu'elles représentent et recouvrent. Ainsi, s'il ne faudrait pas espérer des nouvelles technologies de l'information qu'elles aident à sauver la planète, elles permettraient à tout le moins de mieux l'appréhender dans son entièreté — et elles rendraient l'interface entre les mondes virtuel et matériel accessible à tous. Bref, tant que le réchauffement climatique restera une question ouverte, il y aura une place pour les interventions des profanes et de nouvelles formes de mobilisation au moyen d'internet. Par la suite, Lerberg a cité le mouvement Power Shift 2009, qui se sert d'un vidéo sur YouTube pour inviter les jeunes à Washington, ainsi que le site Green For All associé à Van Jones, désormais compté au nombre des conseillers de la Maison Blanche. N'empêche que je n'ai pas été le seul dans la pièce à songer tout de suite que le réchauffement climatique, en tant que question restant à trancher, attirait aussi en-ligne les négationnistes et les hurluberlus.

En après-midi, j'ai assisté à une série de courtes communications, en principe sur la nature dans l'imaginaire européen. Ainsi, deux Canadiennes, Audrey O'Brien et Stephanie Posthumus, ont parlé des auteurs français J. M. G. Le Clézio (un Prix Nobel natif de Nice) et Michel Houellebecq respectivement. O'Brien a tenté de comprendre si les ouvrages de Le Clézio étaient en mesure de changer le monde tandis que Posthumus a conclu que Houellebecq cache mal qu'il croie encore que la littérature peut changer les gens, sinon le monde. Au passage, Posthumus égratigne le milieu intellectuel français qui, à la suite de Luc Ferry dans Le Nouvel Ordre écologique, assimile l'écologisme à un anti-humanisme et ignore presque complètement l'écocritique. Dans la méfiance qu'il témoigne envers la nature, Houellebecq serait typique de l'attitude française (malgré ses études en agronomie) et La Possibilité d'une île hésite à accorder au réel ou au naturel autre chose qu'un rôle d'intermède salutaire mais bref.

Deux Finlandais, Maria Laakso et Toni Juhani Lahtinen, ont ensuite évoqué des classiques de la littérature finlandaise qui font d'enclaves naturelles (une île, une forêt, un lac) des refuges salvateurs qui peuvent devenir des acteurs à part entière de l'histoire dans les ouvrages de Jansson ou l'épopée des sept frères de Kivi. Autre refuge européen, une forêt là-haut dans la montagne pour Adalbert Stifter dans son roman de 1841 ou 1842, Der Hochwald. Connu et respecté pour sa description des paysages, Stifter peut se comparer à Thoreau et, selon Eva Sattelmayor, son roman fait de la forêt une présence presque incarnée dans sa prose.

Elspeth Whitney est venue ensuite nous mettre en garde contre la tentation de réduire tout le Moyen Âge aux valeurs du christianisme, et le christianisme aux interprétations de Lynn White, pour qui le christianisme avait autorisé l'exploitation de la nature. Whitney note qu'ailleurs dans ses écrits, White tenait cette exploitation de la nature pour positive et libératrice, en fait, de sorte qu'il faudrait se montrer prudent en faisant de White un écologiste. Dans la mesure où, selon lui, le monachisme médiéval avait aussi fondé le capitalisme, la valorisation du travail et la croyance au progrès, il est aussi devenu une référence d'ouvrages plus récents (The Victory of Reason: How Christianity Led to Freedom, Capitalism, and Western Success, de Rodney Stark) et encore plus simplistes, divorçant d'autant plus l'humanité de la nature. Enfin, de manière très brève, Nigel Rothfels a évoqué une tentative allemande de colonisation de la Nouvelle-Guinée vers la fin du XIXe s. et les représentations de son échec en Europe.

En fin de journée, j'ai assisté à une session branchée sur la science-fiction. Hilary Hawley a parlé d'Oryx and Crake de Margaret Atwood, y voyant un ouvrage féministe où le personnage de Jimmy/Snowman tente de rendre à la nouvelle humanité un respect de la nature, des croyances, des rituels et une valorisation des histoires qui seraient privilégiés par l'écoféminisme. Ensuite, Andrea Campbell a examiné la trilogie Xenogenesis d'Octavia Butler pour son brouillage des frontières entre les extraterrestres, les humains et la nature, de sorte que la nature ne sert plus à fonder les distinctions entre les catégories familières aux humains de la trilogie. Enfin, Jennifer Wheat nous a offert un survol de plusieurs romans post-apocalyptiques, depuis Earth Abides de Stewart (1949) jusqu'à The Stone Gods de Jeannette Winterson (2008) et World Made by Hand de James Kunstler (2008), afin de cerner leurs visions du retour aux idéaux pastoraux.

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