2009-04-06

 

Rues montréalaises

Hier, après avoir fait le saut de l'autre côté de la ville afin d'encaisser un loyer pour ma petite sœur, je suis revenu à pied, au soleil. Le fond de l'air pourtant printanier était assez cinglant, mais une bonne marche m'a réchauffé, en partant du magasin de vélos qui appartient pour moitié au locataire en question. Cette boutique bénéficie d'une devanture qui a de quoi attirer l'attention comme on peut le voir dans la photo ci-contre : on ne peut certainement pas nier que ce soit voyant! Il le faut sans doute puisqu'elle a pignon sur rue à quelques pas du carrefour, sur une artère plutôt résidentielle. Et l'édifice lui-même n'a sans doute pas été conçu pour accueillir un commerce au rez-de-chaussée, d'où une absence de vitrine, etc. Le choix des propriétaires s'explique-t-il aussi par une volonté de rejoindre la communauté des cyclistes à Montréal, qui se perçoivent souvent comme des esprits indépendants, voire des marginaux? (Ce qui ne va pas sans ironie quand on compare les voies réservées pour cyclistes à Montréal avec les efforts parfois nettement moins probants dans les autres grandes villes canadiennes.) J'ignore si les propriétaires rangent la nuit certains éléments de leur décor ou s'ils font confiance à l'honnêteté des passants — ou à leur désintérêt pour ce qu'ils pourraient prendre pour de simples bricolages? Non loin de là, j'ai croisé sur mon chemin une boutique utopique (ci-dessus). Mais l'utopie à Montréal, si on y regarde d'un peu plus près, c'est la coiffure, la pose d'ongles, l'épilation et les soins des pieds... Un peu plus loin, j'ai pris en photo une boutique nettement plus vénérable, Uniformes Trans-Canada (photo ci-contre). Ce commerce d'uniformes pour les travailleurs remonte à 1958, ce dont témoigne le style des grandes affiches vitrées, éclairées la nuit et posées sur les façades de l'immeuble. Les automobilistes sur la rue Saint-Denis ont le plus souvent l'occasion d'observer la devanture, mais j'ai choisi d'immortaliser la façade latérale, que l'on voit en remontant la rue vers le nord, mais pas vraiment dans l'autre direction (à moins de risquer l'accident). Quelques rues plus loin, c'est un tout autre style qui s'exhibe dans le cas de la cour à bois et centre de rénovation L. Villeneuve, qui a ouvert ses portes en 1973. Admirons le totem qui est sans doute censé illustrer l'art de tailler le bois, mais qui jure un peu dans un décor urbain si loin de l'océan Pacifique... Les rues de Montréal, ce sont aussi des maisons et des habitations d'une grande variété. Les édifices pourvus de balcons et d'escaliers extérieurs sont bien connus des visiteurs qui ont découvert Montréal pour la première fois, et parfois c'est tout ce dont ils se souviennent. Mais il existe des résidences en tous genres, y compris des maisonnettes (comme celle dans la photo ci-dessous) qui remontent à une époque de budgets familiaux nettement plus modestes... Depuis la ville s'est enrichie et on a construit des logements un peu plus spacieux, s'élevant sur un étage supplémentaire ou deux, mais certains pavillons d'autrefois subsistent encore.Tout ceci m'a inspiré l'idée de voir ce qu'on disait des rues de Montréal dans les ouvrages du début du XIXe s. Certes, Montréal n'était guère plus que le Vieux-Montréal à cette époque, mais on peut obtenir ainsi des impressions contrastées. Ainsi, dans une édition de 1843 des lettres de Catharine Parr Traill, une note en bas de page évoque une ville lugubre et sinistre, en particulier le dimanche : « « Il est impossible (dit M. Talbot, dans son livre intitulé Cinq ans de résidence), de se promener dans les rues de Montréal un dimanche ou un jour de fête, quand les boutiques sont fermées, sans recevoir les plus sombres impressions ; la ville entière paraît une vaste prise » — Il fait ainsi allusion aux volets des fenêtres et aux portes extérieures, qui sont en fer, et dont l'emploi a été adopté pour prévenir les effets du feu.» Le 21 mai 1844, un journal montréalais, Mélanges religieux, scientifiques, politiques et littéraires (un ancêtre en quelque sorte de Culture des futurs) annonce : « Le porte-manteau ou la caisse de livres dont nous avons annoncé la trouvaille dans notre avant-dernier numéro, n'a pas encore été réclamé. Comme les livres et les papiers sont en langue anglaise, les journaux de cette langue rendraient sans doute service au propriétaire s'ils avaient la complaisance de reproduire les lignes suivantes : Un porte-manteau, rempli de livres et de papiers, a été trouvé das les rues de Montréal. Le propriétaire le retrouvera en s'adressant au bureau des Mélanges religieux. » Le 9 mai 1849, dans L'Ami de la religion et de la patrie, les nouvelles sont moins bénignes, deux semaines à peine après l'incendie du Parlement (que l'on voit dans cette aquarelle de Charles William Jefferys) par les conservateurs (qui ont garanti ainsi qu'on ne songerait plus jamais à faire de Montréal une capitale) : « Les journaux tories publient, proclament hardiment et impunément les rapports et les sentiments les plus séditieux, se faisant aussi les échos de la rue. Une correspondance des plus actives se poursuit par la voix même du département de la Poste de Sa Majesté avec toutes les parties de la ville où règne de la sympathie pour le parti mécontent. Un maître de Poste d'une de nos paroisses au sud du fleuve, rapportait avec alarme l'autre jour, que par la même malle il était arrivé de Montréal 80 et quelques lettres à l'adresse des tories de sa paroisse, une pour chacun d'eux, et que depuis ce temps ces gens ont l'air de comploter ensemble. Dans les rues de Montréal on semble remarquer des signes d'intelligence, on croit entendre des mots de reconnaissance entre ceux dune certaine coterie.» Le 12 août 1854, un autre journal, Le Scorpion, de tendance plus humoristique (il se présente comme le « Journal des morsures publiques ») lance des colles sur les artères montréalaises : « En combien d'années pourrait-on réparer les rues de Montréal, sachant que pour paver celle appelée Great St. James, l'on travaille depuis le printemps et qu'on espère avoir terminé avant l'hiver? » ou « Pourquoi les rues de Montréal sont-elles, parfois éclairées au gaz durant le jour, et ne le sont presque jamais la nuit? »... (Réponse à la devinette : les rues sont encore en réparation cent cinquante-cinq ans plus tard!) En octobre 1860, le Journal de l'Instruction publique décrit plutôt les nouvelles qu'on se criait dans la rue : « d'abord, notre Gracieuse Souveraine et le Prince son époux, lord John Russell et l'aînée des princesses royales, et toute une suite que l'on peut imaginer, viennent de parcourir l'Allemagne, où, tous ensemble, ils ont été sur le point d'être broyés sur un chemin de fer, dans une collision qui parut un moment inévitable, et cela sans préjudice à une chûte de voiture dans laquelle quelques jours auparavant, le Prince Albert avait failli éprouver le sort funeste du dernier Duc d'Orléans. Le soir de l'embarquement du Prince de Galles à Portland [Maine], on criait dans les rues de Montréal la première de ces nouvelles, et il n'est personne qui n'ait frémi en songeant que, sans la présence d'esprit d'un ingénieur, le récit d'une aussi terrible catastrophe aurait attendu le jeune Prince au retour de sa tournée triomphale! »

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