2009-04-14

 

De la qualité des étudiants d'aujourd'hui...

La confédération des associations facultaires des universités de l'Ontario (OCUFA) vient de publier les résultats de deux enquêtes. La première (.PDF) porte sur l'évolution de la qualité de l'éducation universitaire en Ontario; la seconde (.PDF) porte sur l'évolution du niveau des étudiants de première année. La seconde étude a beaucoup fait parler d'elle dans les médias, qui sont toujours à l'affût d'un signe de plus de la déchéance des jeunes générations.

Qui donc aura remarqué que la première étude laisse planer certains doutes sur la validité des conclusions de la seconde? En effet, selon la première enquête, plus de 60% des personnes sondées doivent gérer des groupes plus nombreux dans les salles de classe tandis que 40% d'entre elles croient que les universités n'offrent plus le même niveau d'enseignement. Afin d'illustrer cette détérioration, les répondants ont cité:

— Oversubscribed courses without enough seats for students
— Less student-faculty interaction
— Fewer labs and individualized assignments – greater emphasis on multiple choice assignments to ease marking workload

Du coup, si les profs doivent gérer des classes qui débordent, s'ils ont de moins en moins le temps d'apprendre à connaître leurs étudiants et s'ils sont obligés d'assigner des devoirs standardisés, dans quelle mesure peuvent-ils se prononcer avec confiance sur le niveau des étudiants de première année?

Cela dit, si je ne crois pas nécessairement que le niveau baisse tant que ça, le sentiment le plus partagé chez les profs, c'est que les étudiants croient de plus en plus que la réussite est un dû. En anglais, on parle d'entitlement, mais je ne trouve pas d'équivalent évident en français. Cette conviction que tout leur est dû à l'université se manifeste de plusieurs façons. Deux enquêtes menées dans une université (probablement) californienne ont permis de cerner le phénomène, selon un article d'Ellen Greenberger et cie paru dans le Journal of Youth and Adolescence en 2008. Si on peut se fier à la franchise des étudiants (et si on en doute, cela voudrait dire que les réponses sont en-deçà de la vérité!), les étudiants se sont dits d'accord avec les affirmations ci-dessous dans les proportions suivantes (c'est moi qui traduis, grosso modo) :

66.2% : si j'ai expliqué à mon professeur que je fais de mon mieux, je crois qu'il devrait en tenir compte et que ma note finale devrait le refléter
40.7% : si j'ai lu la plupart des textes requis pour un cours, je mérite un B dans ce cours
34.1% : si j'ai assisté à la plupart des classes, je mérite au moins un B dans ce cours
31.5% : les professeurs me donnent souvent une note inférieure à celle que je mérite pour mes essais, dissertations ou rapports
29.9% : les professeurs qui ne me permettent pas de rédiger un examen quand cela m'arrange en raison de mes propres plans (p. ex. des vacances ou un voyage que je juge important) sont trop sévères
25.4% : les professeurs me donnent souvent une note inférieure à celle que je mérite pour un examen
23.5% : j'aurais une mauvaise opinion d'un prof qui ne répond pas à mes courriels le jour même
17.7% : si je ne suis pas content de la note que j'ai reçue pour un devoir, le professeur devrait me laisser lui soumettre un autre devoir
16.8% : les professeurs n'ont aucunement le droit de s'offusquer si je tends à arriver en retard pour le cours ou à quitter tôt
16.5% : un professeur n'a pas à se vexer si je reçois un appel important pendant que je suis en classe
15.3% : j'aurais une mauvaise opinion d'un prof qui ne répond pas rapidement à un message téléphonique
9.5% : un professeur devrait me laisser soumettre un devoir en retard si l'échéance entre en conflit avec mes projets de vacances

En Ontario, je ne suis pas sûr qu'on en soit rendu là, mais un de mes étudiants a réclamé cette année d'écrire son examen de mi-session à son retour de vacances au Costa Rica et il a laissé tomber le cours quand j'ai refusé de lui garantir cette possibilité...

Qu'est-ce qui explique ces attitudes chez les étudiants? L'article de Greenberger n'a pas décelé de facteur déterminant. Tout au plus observe-t-on une corrélation modérée de l'égocentrisme étudiant et du niveau général d'égoïsme (c'est-à-dire de ce qu'on appelle psychological entitlement et exploitive entitlement, et que l'on diagnostique si le sujet répond affirmativement qu'il croit honnêtement être plus méritant que les autres, ou que s'il est pressé, il a le droit de passer avant les autres). Ce n'est guère surprenant, mais la corrélation n'est qu'un peu plus forte que la corrélation avec certaines formes de pressions parentales.

Du coup, les auteurs de l'article se bornent à émettre des hypothèses. Ils suggèrent que l'emploi croissant du courriel abolirait la distance nécessaire entre les profs et les étudiants, que les évaluations de l'enseignement par les étudiants favorisent la conviction de ceux-ci que leur point de vue a autant sinon plus d'importance que celui des professeurs et que la tendance à distribuer plus volontiers des notes élevées ou à offrir des cours plus faciles conforterait les étudiants dans leur conviction que la réussite leur est due...

Les auteurs, pour la plupart étatsuniens, omettent toutefois de mentionner un facteur évident : les frais de scolarité. Quand les étudiants (et leurs parents) paient des milliers de dollars par semestre, ils ont sûrement le droit d'avoir l'impression qu'ils ont acheté quelque chose, c'est-à-dire un diplôme universitaire et les notes qu'il faut pour l'obtenir. Mais la remise en question de la hausse des frais de scolarité en Amérique du Nord n'est pas à l'ordre du jour.

Cela dit, des frais de scolarité particulièrement bas, comme au Québec, et des pratiques universitaires comme l'approbation des plans de cours par un vote des étudiants (à l'UQÀM, par exemple) peuvent également conforter les étudiants dans la conviction tacite qu'ils sont des êtres d'exception qui ont droit à un traitement particulier. Cela aussi, je l'ai constaté...

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Comments:
Depuis que je suis en reprises d'études à Québec je constate qu'on peut noter les profs ici, ce qui n'existe pas en France (ça en ferait bouger quelques uns, je trouve cela constructif à condition que la critique le soit aussi de la part de l'étudiant).
Pour avoir travaillé dans un collège privé, je sais que des parents qui paient attendent un service, et les enfants étudiants se comportent parfois en consommateurs.
Ajouter à cela la génération de plus en plus confortée dans l'idée qu'il est facile de changer de classe vu que la sanction pour manque de travail apparaît de plus en plus rarement dans un parcours scolaire peu sanctionné ou pas par des redoublements.
La génération du tout est dû augmente aussi, ces enfants à qui rien n'est refusé qui s'apparentent à des états limite.. qui pêtent une coche dès qu'on leur dit non.
En tous les cas, je n'ai pas la sensation qu'on me donne mes notes actuelles, il faut travailler !!
 
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