2008-07-22

 

La vieille garde de la SF

Je viens de lire Old Man's War (2005) de John Scalzi, un roman de science-fiction militaire qui a été accueilli avec beaucoup d'enthousiasme et avec le Prix John W. Campbell du meilleur nouvel auteur en 2006.

Ma réaction initiale : « Cette merde fumante a gagné un prix? »

Certes, il s'agissait d'un prix pour toute la production de Scalzi comme nouvel auteur, ce qui se limitait essentiellement à ce livre mais permet de relativiser un peu et de ne pas se tirer une balle dans la tête après avoir essayé d'imaginer ce qu'il faut en déduire de l'état de la science-fiction en ce moment... Néanmoins, je viens de découvrir qu'en espagnol, le roman a été traduit sous le titre La Vieja Guardia. Ceci me semble particulièrement approprié, car le roman a tout pour plaire aux lecteurs d'un certain âge, à la vieille garde des fans, donc. Seulement, si j'avais eu envie à ce point de lire une resucée de Starship Troopers mâtinée de Forever War, j'aurais relu Heinlein et Haldeman, car l'évolution de mes goûts est telle que la relecture aujourd'hui de ces classiques d'autrefois risquerait d'en faire de pâles imitations des ouvrages dont je me souviens...

Tout ce que Scalzi offre de neuf, c'est le recrutement de personnes âgées qui, pour cette raison, sont censées accepter plus facilement le transfert de leur esprit dans un corps cloné nettement amélioré par la biotechnologie. La description du processus n'explique pas très clairement pourquoi il ne reste plus personne dans le corps d'origine, tout comme les amateurs d'une vraisemblance scientifique minimale avaleront difficilement (sans jeu de mots) de multiples races extraterrestres qui aiment manger de la chair humaine ou des extraterrestres humanoïdes intelligents de trois centimètres de haut... Je ne m'attarderai pas trop sur les défaillances de l'extrapolation socio-politique; Jean-Jacques Régnier les a assez bien traitées ici. Je me contenterai de dire que j'ai failli arrêter de lire quand la description de l'entraînement se prolonge et que Scalzi l'étoffe en faisant l'article de l'arme du fantassin.

Le reste relève de la science-fiction militaire, exécutée avec un certain savoir-faire et pimentée d'une pointe d'humour de la part du protagoniste, mais en nettement moins sardonique que les meilleurs textes de Keith Laumer et en nettement moins palpitant que les romans de David Weber. Les nouveaux corps des recrues leur confèrent des capacités surhumaines; la principale nouveauté sous ce rapport, c'est l'existence d'un module informatique qui permet aux soldats de communiquer plus ou moins télépathiquement et de mieux coordonner leurs actions.

Sinon... Le problème principal, c'est que Scalzi n'arrive pas à rendre crédible l'utilisation de super-fantassins. À l'époque de Heinlein, qui avait connu les premiers chars et les premiers avions, c'était déjà difficile de justifier l'importance future de l'infanterie. Dans une certaine mesure, les fantassins de Heinlein combinaient les rôles de l'aviation, de l'infanterie et des blindés. De nos jours, la combinaison des satellites, de l'aviation, de l'artillerie à longue portée et des blindés ne laisse aux fantassins qu'un rôle limité, qui est souvent celui de servir les machines, d'occuper le terrain et d'intervenir dans les zones construites où il faut limiter les dégâts et les blessés. Mais Scalzi nous montre des fantassins à pied, pourvus d'armes d'une puissance limitée et protégés par une combinaison à peine capable de résister aux balles. En général, ils ne semblent pas trop se soucier des dégâts collatéraux et de la recherche d'un modus vivendi, car les forces coloniales se battent pour conquérir de nouveaux mondes ou repousser des adversaires qui revendiquent les mêmes mondes. (Interdit de poser des questions sur l'intérêt des planètes pour une civilisation spatiale, la possibilité d'établir des fermes dans des environnements étrangers, etc.)

Pour faire avaler ses légionnaires interstellaires à des lecteurs modernes, Scalzi soutient, par exemple : « There has never been a military in the entire history of the human race that has gone to war equipped with more than the least that it needs to fight its enemy. War is expensive. It costs money and it costs lives and no civilization has an infinite amount of either. »

De la part d'un citoyen des États-Unis, dont toute l'histoire militaire a reposé sur le déploiement de moyens nettement supérieurs à ceux de ses ennemis, c'est d'une ignorance ahurissante. Que ce soit en Afghanistan ou en Irak, au Viêt-Nam ou en Corée, contre le Japon et l'Allemagne, contre les Premières Nations ou contre les États confédérés durant la Guerre de Sécession, voire contre le Canada en 1812, les États-Unis ne sont presque jamais partis en guerre sans avoir tout ce qu'il fallait pour combattre et vaincre l'ennemi, pas seulement se battre. (Je ne fais pas entrer en ligne de compte ici l'incurie des généraux étatsuniens qui explique plusieurs déboires des États-Unis même quand leurs troupes avaient l'avantage du nombre et de l'équipement.) Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis n'ont presque jamais combattu sans jouir d'une supériorité aérienne quasi absolue. Contre les guerriers autochtones des Prairies armés de fusils ou d'arcs, ils disposaient de canons. Quand des corps expéditionnaires faisaient la guerre aux Philippines, à Cuba, en Amérique centrale ou ailleurs, ils avaient des cuirassés, des canonnières, des mitrailleuses, des véhicules motorisés et parfois des avions. Dans un passage ultérieur, Scalzi trahit sans doute une certaine compréhension de cette histoire militaire des États-Unis, quand un des personnages ironise : « I think I like our tradition of overwhelming force better. » Le roman ne précise pas quel rapport de force les unités humaines acceptent, mais on sent bien qu'une trop grande infériorité ne semble pas naturelle...

Bref, Scalzi se prend peut-être pour Donald Rumsfeld, le partisan des interventions militaires légères (comme en Afghanistan ou en Irak, où cette doctrine a prolongé les combats pendant des années...), mais il contredit des siècles d'expérience. Au contraire, aucun belligérent n'essaie de calculer au plus près les moyens alloués à ses forces armées, car personne ne voudra risquer de se faire surprendre par des circonstances qui élimineraient au mauvais moment leur mince avantage. Si les combattants sont souvent d'égale force, c'est parce que les petits n'attaquent pas les gros, et que les petits se trouvent des alliés s'ils sont menacés par un gros. Ou sinon, les petits se rendent sans combattre et les gros ne se vantent pas des succès obtenus contre des adversaires inférieurs en nombre...

Scalzi a-t-il servi comme soldat? Sa bio ne l'indique pas, mais il est permis d'en douter. Un passage du roman explique une des utilisations du cybermodule implanté : « The only drawback to BrainPal communication is that your BrainPal can also send emotional information if you're not paying attention. This can be distracting if you suddenly feel like you're going to piss yourself in fright, only to realize it's not you who's about to cut loose on the bladder, but your squadmate. It's also something none of your squadmates will ever let you live down. » Ce que l'histoire militaire indique, c'est que même si la peur n'est pas une expérience universelle sur les champs de bataille, elle est assez bien partagée et qu'elle peut prendre des aspects nettement plus incapacitants qu'une décompression soudaine de la vessie. Certes, il est possible que les corps refaits des super-soldats du roman sont insensibles à la peur, mais ce serait une modification plutôt majeure et qu'il aurait fallu signaler...

En guise de conclusion, je révise à la hausse mon opinion de la complexité et maturité du roman jeunesse d'Ed Willett, Lost in Translation. Ce qui m'a déplu le plus, c'est sans doute le simplisme de la conception par Scalzi d'une guerre apparemment éternelle parce qu'il est dans la nature de toutes les espèces intelligentes de vouloir toujours occuper plus de planètes et de se battre pour elles... Étant donné ce que Scalzi affirme dans le même livre au sujet des ressources limitées des civilisations, on se demande bien quand les sociétés en cause finiront par reconnaître que, dans certaines circonstances (et surtout quand la guerre est technologique), ce n'est pas sage de partir en guerre à tout bout de champ et contre tout ce qui bouge...

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Comments:
Salut

Je viens de lire tes commentaires Jean-Louis.
Idem pour les commentaires critiques de Jean-Jacques.

Perso, j'ai eu l'impression d'une resucée de "Etoiles gardes à vous/Starship Troopers" et de "La stratégie Ender"

Hors le côté trop "Ouf ! ouf ! ouf ! heureusement que le héros était là", parce que ça n'allait pas fort pour les humains avant son arrivée :-), j'ai bien aimé le côté traitement du clonage humain... vers un corps plus jeune. Le reste du corps étant balancé aux ordures.

Il y a aussi le super gadget "Ami", qui pourrait être tactiquement intéressant... pour un officier. Et qui est un ersatz de la télépathie.
Et ce que je trouve aussi intéressant : la résurrection des morts (pour constituer les brigades fantômes : le deuxième tome)

Après, Scalzi n'utilise pas à fond chacun de ces procédés, il se concentre sur la partie aventure et action, pour finir dans la bleuette sentimentale. La "never ending love" ;-)
C'est du space opera sans prétention. Largement comme les préquelles (j'allais écrire séquelles) de Dune.

La profondeur et un univers fouillé sont à chercher ailleurs.

Bien Amicalement
L'Amibe_R Nard
 
Salut.
Oui, I agree with Amber. I admittedly only poked at this one yet (got the PDF free off the Tor download) and suspect based on what you guys have said that it merely pretends to be hard SF. Especially if it was a neverending colonization war, why wouldn't they just automate everything? So much easier to copy over the contents of memory than to bother cloning all that tissue so expensively. Your comments do not encourage me to venture past chapter 1, especially since that's about as far into Starship Troopers as I managed to get. Ugh!
 
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