2008-01-24

 

Histoires de Voyageurs

L'Association historique d'Ottawa offrait ce soir à la Bibliothèque nationale du Canada une rencontre avec des chercheurs s'intéressant à l'histoire des Métis et des Voyageurs : « Old Waterways, New Currents: Métis and Voyageur Studies », avec Nicole St-Onge, James McKillip, Tim Foran et Cecil Chabot. Nicole St-Onge, professeure à l'Université d'Ottawa, a commencé par évoquer la naissance de l'identité métisse. Elle note qu'une « nation » hybride comme celle des Métis n'était pas unique dans les Prairies du continent. Les tribus amérindiennes, décimées par des épidémies qui frappaient tous les cinq ou six ans vers 1800, s'étaient souvent regroupées au sein de nouveaux ensembles composites et synthétiques, les survivants s'assimilant à une tribu plus nombreuses ou formant des alliances de circonstance. Les Comanches, par exemple, avaient prospéré en intégrant des captifs aux origines variées. Mais si les Comanches avaient dominé le cœur des Plaines, profitant de huit millions de bisons et deux millions de chevaux sauvages (selon certaines évaluations) et revendiquant un territoire de plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés, les Métis allaient profiter de leur position mitoyenne entre le monde traditionnel et le monde des Blancs. Dès 1820, ils pouvaient mobiliser 500 chasseurs et les expéditions de chasse postérieures recruteraient jusqu'à 1500 personnes et des dizaines de charrettes. Les épidémies avaient fait le vide devant eux, balayant les tribus amérindiennes, tandis que l'arrivée des chevaux et de meilleurs fusils leur permettraient de devenir des chasseurs de bisons suprêmement efficaces, et d'acquérir une influence politique à la mesure de leur identification comme Métis.

James McKillip est un doctorant qui s'intéresse à l'histoire de Norway House au Manitoba entre 1825 et 1844 environ. La victoire de la Hudson's Bay Company sur ses rivaux transforme un petit poste de traite des fourrures en grand carrefour à la croisée des itinéraires commerciaux de la compagnie, reliant la baie d'Hudson aux établissements des États-Unis. Si le personnel permanent sur place est réduit, représentant une douzaine de personnes, l'établissement attire une population flottante considérable. Tous les équipages des York boats profitaient de l'étape à Norway House pour se reposer, retrouver les amis, faire un peu la fête... Pour fournir tout ce monde, des Métis et autochtones installés à proximité pêchaient (jusqu'à 20 ou 30 000 poissons en deux mois), produisaient du sirop d'érable, réparaient les bateaux et les canots qu'ils construisaient aussi à l'occasion (on importait de l'écorce de bouleau), et pratiquaient sans doute plusieurs autres activités sans lesquelles la vie aurait été plus dure à Norway House.

Un autre doctorant, Tim Foran, s'intéresse à la mission des Oblats à l'Île à la Crosse en Saskatchewan. Ce qui l'intrigue, c'est le choix des Oblats d'origine française de passer sous silence dans leurs rapports la présence des Métis en parlant plutôt de « Sauvages » ou « Indiens », et ce jusqu'en 1870 environ. Ce sont les exigences ethnologiques de la maison-mère en France qui les forceront à admettre la présence de « Métis » ou « Sangs-mêlés» qui vivent « à la façon sauvage ». Même alors, les Oblats auraient eu tendance à réserver le terme pour les employés métis de la Hudson's Bay Company qui parlaient français ou michif et qui venaient souvent de la vallée de la Rivière-Rouge. De manière assez intéressante, la catégorisation linguistique l'emportait sur une catégorisation purement « raciale ».

Enfin, un troisième doctorant, Cecil Chabot de Moose Factory en Ontario, fait toucher du doigt l'étrange sort de ce terme de « Métis » au Canada. Plus d'un siècle après la défaite de Batoche, la pendaison de Louis Riel, l'exclusion des Métis de la plupart des traités postérieurs et même leur disparition comme catégorie dans les recensements décennaux du pays, les institutions actuelles n'ont d'autre choix que de l'employer pour désigner cette population cousine des Premières Nations reconnues par la loi et de culture parfois proche, mais quand même distincte. On utilise le terme, faute de mieux, même s'il est appliqué à des groupes sans aucun lien avec les Métis historiques de la Rivière-Rouge. Sans doute parce que les autres possibilités sont péjoratives ou choquantes. Et sans doute parce que les Métis de l'Ouest, justement, ont réussi à maintenir leur identité.

De nos jours, l'identité « métissée » est renforcée parfois par l'exclusion de certaines familles et certains individus des traités, ce qui les exclut de pratiques coutumières (de chasse et pêche, par exemple) désormais réservées aux Premières Nations. Ainsi, là où il n'existait peut-être à l'origine aucun sentiment d'être « Métis », les cadres juridiques forcent des personnes à se rabattre sur la seule identité encore disponible. C'est une belle et curieuse démonstration de la construction de l'identité...

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