2007-12-28

 

La pompe de Lindbergh et Carrel

L'ancêtre du cœur artificiel a été inventé par Charles Lindbergh et Alexis Carrel, dont j'avais évoqué précédemment la collaboration, pour maintenir sous perfusion des tissus et des organes animaux. La collaboration de ces deux personnages hors-normes est décrite dans The Immortalists, un nouveau livre qui est franchement passionnant. L'auteur, David M. Friedman, révèle que Carrel et Lindbergh entrevoyaient clairement les possibilités permises par l'extraction d'organes. Leur pompe en Pyrex n'était pas grosse (elle suffisait tout juste à contenir des glandes de petits mammifères), mais elle conservait les échantillons choisis dans des conditions stériles pendant des jours d'affilée tout en faisant circuler un fluide nutritif par les veines et capillaires de l'organe. Toutefois, pour Carrel et Lindbergh, ce n'était qu'un premier pas et ils espéraient réaliser la transplantation systématique d'organes afin de remplacer des organes vieillissants (ou défaillants) par des organes sains et plus jeunes. Le remplacement de tous les organes (sauf le cerveau, évidemment) garantirait la survie indéfinie des individus. Autrement dit, ces techniques procureraient la vie éternelle à l'humanité... Friedman exagère sans doute en essayant de faire de cette quête de l'immortalité un fil conducteur de son livre, car il devient clair en cours de route que Carrel et Lindbergh avaient plus d'un sujet de conversation dans le contexte des années trente et de la montée du nazisme.

Dans ce livre, Carrel apparaît quelque peu comme le mauvais génie de Lindbergh, le médecin français partageant ses idées eugéniques avec l'aviateur étatsunien et le gagnant (sans trop de peine?) à ses propres convictions sur la supériorité des races européennes. Mais Friedman ne cache pas que Carrel se méfiait de tout ce qui était allemand après ses expériences durant la Première Guerre mondiale. Par conséquent, ce sont Charles Lindbergh et sa femme qui sont tombés d'eux-mêmes sous le charme du régime nazi d'Adolf Hitler. Il faut dire qu'ils avaient des raisons de rejeter les valeurs démocratiques des États-Unis... Première vedette médiatique mondiale, peut-être, Lindbergh avait souffert d'être sans cesse traqué par les journalistes et les photographes, et encore plus de l'enlèvement de son premier enfant par un ravisseur appâté par la célébrité de l'aviateur. (Le ravisseur avait obtenu une rançon de plusieurs milliers de dollars, mais on n'avait retrouvé que le cadavre du bébé.) Lindbergh avait d'ailleurs fui avec sa petite famille pour s'installer en Angleterre, ce qui avait coupé court à sa collaboration avec Carrel tout en lui permettant de visiter l'Allemagne nazie et peut-être même de jouer un rôle dans le dénouement de la crise des Sudètes... Carrel est mort en 1944, après avoir accepté de collaborer avec le régime de Vichy afin de réaliser le projet d'un institut tel qu'il l'avait décrit dans L'Homme, cet inconnu, soit la Fondation française pour l'étude des problèmes humains qui est un peu le prédécesseur de l'Institut national d'études démographiques (INED). Mais Lindbergh, qui avait milité contre l'entrée en guerre des États-Unis contre l'Allemagne nazie, a vécu assez longtemps pour se repentir et devenir un militant de l'environnement.

À plusieurs titres, il faut remonter à cette époque pour comprendre comment la science-fiction du siècle dernier a pu concevoir l'immortalité de la chair et aussi l'avènement de cyborgs. L'invention de Lindbergh et Carrel avait été claironnée dans la revue Time et les autres réussites de Carrel à l'Institut Rockefeller (comme le morceau de tissu cardiaque d'un poulet) étaient également connues. Heinlein n'a pas été le seul à tenir compte de ces percées qui n'allaient aboutir à des résultats concrets qu'une génération plus tard...

Libellés : , , ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?