2007-10-08

 

Démonologie québécoise

Jean Chrétien, Stéphane Dion, Mordecai Richler, Pierre Elliott Trudeau... Tous ces Québécois ont en commun de figurer non au panthéon mais au fin fond du pandemonium du nationalisme québécois. Ce qu'il y a de particulier au Québec, ce n'est pas que certains personnages fassent l'unanimité contre eux, c'est le nombre de ceux qui sont voués à l'exécration. Et c'est aussi la nature fantasmatique de leurs incartades.

Pour un Trudeau qui a invoqué la Loi sur les mesures de guerre, nous avons là des politiciens et même un écrivain à qui on ne peut reprocher que des paroles trop dures pour une mouvance politique particulière ou l'insistance sur le respect de règles démocratiques minimales pour arriver à l'indépendance. Souvent, il a fallu déformer leurs propos ou leurs idées pour les clouer au pilori.

Ainsi, Richler est accusé d'avoir traité les femmes canadiennes-françaises de « truies » alors qu'il avait écrit : « in the past, families of a dozen children were not uncommon. This punishing level of reproduction, which seemed to me to be based on the assumption that women were sows, was encouraged with impunity from the sidelines by l'Abbé Lionel Groulx, whose newspaper L'Action française, founded in 1917, preached "la revanche des berceaux", the revenge of the cradles, which would enable French Canadians to become the majority in Canada ». De fait, le discours du Jésuite Louis Lalande en février 1918 appelle de ses vœux cette fécondité accrue et l'allocution est reproduite dans L'Action française avec une célérité qui laisserait pantois certains auteurs actuels, mais les études s'accordent pour dire que cette idée faisait partie d'une idéologie (.PDF) répandue.

D'ailleurs, on oublie aisément au Québec à quel point ce message faisait partie d'un nationalisme canadien-français (.PDF) à l'échelle du Canada, englobant des minorités dont la défense par Trudeau et l'abandon par les indépendantistes québécois devraient brouiller certains jugements trop tranchés. Traître au Québec, Trudeau? Dans l'acception nouvelle du nationalisme québécois, c'est possible, mais sa défense du bilinguisme lui vaut également d'être vilipendé au Canada anglophone parce qu'il aura été un meilleur nationaliste canadien-français que québécois... ou canadien.

Quant à Stéphane Dion, qui est plus proche des nationalistes québécois mous que des fédéralistes purs et durs, il a pour principal défaut d'avoir exigé de ses adversaires politiques de la clarté sur leurs intentions et de la transparence dans leurs actions. Avant la reconnaissance du Québec (ou des Québécois, ou des Canadiens-français au Québec — la traduction suggère une ambiguïté) comme nation par la Chambre des Communes, ce pour quoi Dion avait voté, c'était déjà Dion qui avait soutenu la reconnaissance du Québec comme société distincte. Quel bourreau des sentiments québécois!

Tout comme il y a une démonologie étatsunienne instrumentalisée par une élite au pouvoir, il y a une démonologie québécoise instrumentalisée par une élite qui contrôle une partie des leviers du pouvoir. Elle se complaît dans la stigmatisation d'une petite armée de traîtres, que l'organisation des Jeunes Patriotes du Québec cherchait à identifier ces jours-ci.

En fait, la véritable faute imputée à ces épouvantails du nationalisme québécois tient sans doute à deux éléments. D'abord, ils pratiquaient une brèche dans l'unanimisme tant souhaité par les indépendantistes, relativisant par le fait même les affirmations souverainistes et les faisant dégringoler du rang de vérités immanentes à celui de slogans politiques. Or, que l'indépendantisme soit une simple option politique semble insupportable pour ceux qui en font une question d'identité. Ensuite, les « traîtres » en question ont eu le mauvais goût de l'emporter plus souvent qu'autrement...

Au Canada anglais, justement, le démonologue inclurait des Québécois qui ont à la fois menacé la survie du pays et révélé une personnalité antipathique. La démonologie canadienne hisserait donc en sommet de liste Jacques Parizeau et Brian Mulroney, voire Trudeau, mais pas nécessairement des perdants sympathiques comme Lucien Bouchard ou René Lévesque. Il n'y a que des Québécois dans cette liste? La domination québécoise du pouvoir exécutif depuis quarante ans y est sans doute pour quelque chose. Le caractère régional du pays aussi. Ces politiciens québécois seraient des figures unificatrices parce que ce sont les seuls qui ont osé manier des enjeux véritablement nationaux.

Mais l'unanimité des opinions québécoises me semble exprimer quelque chose de plus. Une certaine solidarité communautaire, d'abord. Il est plus facile de condamner verbalement après le fait que de choisir un parti en pleine tourmente. Le prix payé pour les divisions douloureuses des référendums, c'est le consensus après-coup, qui permet de recréer cette unité de façade dont les minorités sentent toujours le besoin.

Enfin, la désignation des méchants à la vindicte populaire me semble participer d'une culture du bouc émissaire au Québec, dont j'ai déjà parlé : ce n'est jamais la faute du petit Québécois, car il y a toujours un grand coupable qui a tiré toutes les ficelles nécessaires en coulisse. Si Trudeau a été élu pour mettre au pays les séparatistes, c'est parce qu'il a eu l'habileté de provoquer l'émeute de la St-Jean-Baptiste en 1968... C'est commode de pouvoir blâmer toutes ses défaites sur des traîtres et des agents du grand capital étranger, et non à ses propres faiblesses ou aux insuffisances du projet.

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