2007-09-02

 

La durabilité à long terme

L'heure qui précède minuit est la douzième heure, comme on le faisait remarquer dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, et non la onzième heure. Mais cela ne change rien au sentiment d'urgence de qui voit les minutes s'égrener sans que rien ne change. Récemment, la revue Science publiait un article (accès restreint) qui évaluait à 17% la part de la surface planétaire échappe à l'influence directe de l'homme (densité d'une personne par kilomètre carré ou moins, ni agglomération ni agriculture, pas de route à moins de 15 km, pas de source lumineuse visible de l'espace). La nature a été domestiquée, ce n'est plus niable : il faut maintenant s'en occuper le plus sagement possible.

Le film écologique de l'automne sera-t-il donc The 11th Hour? Le film est très différent d'un autre film dans cette veine, An Inconvenient Truth, que j'avais vu l'an dernier. La narration est assurée par une vedette hollywoodienne, Leonardo di Caprio, et non par un ex-politicien, Al Gore. Les faits, les chiffres, les données et les diagrammes de la présentation de Gore sont remplacées par des déclarations de célébrités, de Stephen Hawking à Mikhaïl Gorbatchev, d'universitaires et de militants écologistes. Les explications minutieuses de Gore sont remplacées par des montages de photos, de clips vidéos et de films d'archives, dont le rapport avec la narration est parfois assez vague.

David Guggenheim avait placé au cœur du film An Inconvenient Truth une tentative audacieuse de vulgariser la science des climats futurs. La politique tenait un rôle secondaire, tout comme les mesures à adopter pour sauver la planète.

Le film de di Caprio et des sœurs Conners est beaucoup plus concerné par la dimension spirituelle de la crise environnementale (encore que Gore aussi en faisait une question morale) et par les remèdes. The 11th Hour ne se limite pas au réchauffement de la planète, dressant l'inventaire de la plupart des crises écologiques du moment (déforestation, surpêche, pollution des mers) et condamnant le consumérisme effréné qui profite aux grandes corporations. Je n'ai pas relevé d'erreurs majeures, encore qu'il était assez comique de noter qu'on prédisait deux avenirs catastrophiques à la Terre : pour Hawking, le dérapage de l'effet de serre ferait de la Terre une jumelle de Vénus; plus tard, un autre expert craint de voir la Terre devenir semblable à Mars, un monde fort dissemblable... (L'affirmation que le corps humain est constitué en majorité d'organismes étrangers est à comprendre au niveau du nombre, et non de la masse.)

Bref, The 11th Hour est nettement plus alarmiste. Malgré quelques exagérations implicites, An Inconvenient Truth gagnait en crédibilité en se contentant de présenter les faits et les extrapolations les plus consensuelles.

Par contre, on rejoint An Inconvenient Truth au niveau de la pensée positive. Les solutions existent, affirme-t-on. C'est une question de volonté, individuelle ou collective. (L'absolutisme de certaines déclarations fait d'ailleurs froid dans le dos : on croirait entendre le préalable hystérique à une sorte de fascisme.)

J'en retire deux choses. An Inconvenient Truth était le film d'un homme, Al Gore. The 11th Hour met en scène la diversité et la multitude des femmes et des hommes de bonne volonté, tout autour de la planète. C'est ce qui donne un sens au choix de faire du film une mosaïque, tant au niveau de la succession de visages à l'écran que de la composition visuelle.

Le film rappelle aussi l'épuisement inéluctable des énergies fossiles, dans cinquante ans (selon certains théoriciens du Peak Oil) ou dans un siècle ou deux, si on parvient à faire durer les réserves de houille et de sables bitumineux. Ceci peut paraître long à l'échelle d'une vie humaine, mais cela ne l'est pas du tout à l'échelle de l'histoire des civilisations ou de l'espèce. Du coup, je me dis que les solutions proposées demeurent pour l'instant des solutions à court terme. Elles sont plus vertes, plus écologiques, plus économes en énergie, mais je me demande si ce sera possible d'assembler des panneaux solaires, d'édifier des éoliennes ou de fabriquer les microprocesseurs requis pour la gestion de bâtiments verts (construits avec beaucoup de verre et de métal, voire de béton) sans aucune source d'énergie fossile pour graisser les rouages des économies avancées.

Nous avons pu constater ces derniers mois et jours que nos grands édifices et nos infrastructures lourdes ont une durée de vie limitée. Qu'en sera-t-il de ces beaux bâtiments écologiques qui ressemblent à des serres géantes? S'il faut les reconstruire tous les cinquante ou cent ans, ou les entretenir en les remplaçant plus graduellement, pièce par pièce, est-ce que ce sera encore possible quand il ne restera plus de combustibles fossiles pour le faire à un prix raisonnable? Dans deux cents ans, quand on brûlera les dernières miettes de charbon, la dernière génération optera-t-elle pour un retour au passé?

La vraie durabilité, c'est celle de la pierre. En France, la maison de pierre héritée en 1633 par le père du premier des Trudel du Canada est encore debout et sert de gîte rural. Combien d'édifices « verts » dureront aussi longtemps?

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Comments:
Si je gagne des millions (pensée magique, hélas, qui est la source de bien des problèmes dans le monde), mais bon, si je gagne des millions, j'aimerais me construire une maison en pierre comme les Incas: taillées avec suffisamment de précision pour ne pas nécessiter de mortier, sur une assise de roche (ce qui est le cas chez moi). Histoire de laisser derrière moi un ouvrage qui survivrait plus longtemps que mon oeuvre littéraire!

Joël Champetier
 
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