2007-08-30

 

Nous

Le discours d'intronisation de Pauline Marois comme candidate dans le comté de Charlevoix n'est pas innocent. Selon cet article et ce reportage, il a été question de la réticence de certains Québécois à affirmer leur identité depuis plusieurs années. Quoi qu'on puisse penser de cette thèse, l'analyse historique est sans doute assez juste, du moins en ce qui concerne le refoulement de l'expression de certaines idées par Pauline Marois et les autres huiles du PQ pendant des années. Autrement dit, elle parle pour elle, en projetant son moi profond sur le Québec tout entier. C'est donc profondément révélateur qu'elle affirme :

« Comme si le «nous» était tabou. Comme si poser des gestes pour défendre notre identité était synonyme de racisme et d’intolérance »

De fait, Pauline Marois donne l'impression de s'exprimer dans quelque endroit où la majorité de la population serait opprimée et ne contrôlerait ni le gouvernement ni la fonction publique (chasse gardée du baby boom blanc et francophone) ni les arts ni la plupart des médias. Sortant les vieux discours de la naphtaline, elle lançait donc :

« Nous ne devons plus être gênés ou avoir peur de dire qu’au Québec, la majorité francophone veut être reconnue et qu’elle est le cœur de la nation ».

Quelle place restera-t-il pour les autres? Marois se voulait conciliante, soulignant qu’il « n’est pas nécessaire d’être né ici pour être passager de notre histoire ». Si on est un simple passager, on n'est ni membre de l'équipage ni capitaine. L'exclusion du nous péquiste aura rarement été signifiée aussi clairement à ceux qui n'en font pas partie.

Dès lors, il semble évident que « plusieurs années », cela nous ramène en 1995, un certain soir d'octobre, quand un précédent chef du PQ avait pris la parole à l'issue d'un référendum perdu par la faute de « l'argent [et] des votes ethniques ». (On peut couper les cheveux en quatre, mais il faut réécouter ce discours pour bien comprendre qu'au fond, ce qui avait fait de Parizeau une victime expiatoire, ce n'étaient pas ces quelques mots, mais le fait qu'on pouvait entendre la salle les applaudir chaleureusement. Parions que si la salle avait accueilli ces mots par un silence de mort, Parizeau aurait pu faire amende honorable le lendemain et s'en tirer parce que le parti lui-même n'aurait pas été éclaboussé.)

Voilà quelqu'un qui n'a jamais hésité à dire « nous » en s'identifiant à la soi-disant nation québécoise, et en l'identifiant à son parti. Ce même discours, Parizeau l'avait commencé en disant :

« Heille, si vous voulez, là, on va cesser de parler des francophones du Québec, on va parler de nous. À 60%, on a voté pour. Hé, on s'est bien battu. On s'est bien battu et, nous, on a quand même réussi à indiquer clairement ce qu'on voulait. »

Que signifie cette phrase clé qui distingue « nous » et les « francophones du Québec » ? La seconde expression signifie clairement qu'on ne peut pas identifier le Québec et les francophones, et que le Parti québécois ne s'adresse pas uniquement aux francophones tant qu'il admet l'existence d'autres parties prenantes du Québec. Mais quand Parizeau se met à dire nous, il exclut implicitement du Québec ceux qui ne sont pas francophones.

Le 30 octobre 1995, le monde entier avait constaté l'aboutissement naturel de ce penchant pernicieux. Quand le PQ est identifié à la nation, quand le vote pour le PQ devient un test d'adhésion à la nation et quand on a le malheur de ne pas ressembler à l'idée sous-jacente de la nation (souvenons-nous de l'identification par Lucien Bouchard des Québécois comme « une des races blanches »), on se fait désigner comme bouc émissaire national.

C'est pourquoi ce n'est pas du tout innocent que Pauline Marois dise ce qu'elle a dit. Encore une fois, quand elle définit un « nous » qui est pure-laine et pense comme à Zéroville, et qui mérite de décider au Québec tout ce qui peut être décidé, elle écarte, elle exclut et elle dépossède. En d'autres temps et d'autres lieux, on aurait parlé de ségrégation et d'apartheid, ou tout au moins de tyrannie de la majorité (ce qui correspond bien à l'idéologie de Zéroville qui privilégie non pas les droits mais la démocratie), mais le consensus mou règne toujours au Québec.

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