2007-05-16

 

Maître des éboulis

Au pays des sources motorisées, les chiens sont rois. Dans une contrée dépourvue d'ours ou de couguars, que les bandits de grand chemin ont depuis longtemps abandonnée faute de victimes, ce sont encore et toujours les chiens dont il faut se garer.

Je ne compte pas les embûches des sentiers et chemins du randonneur. Les sentes à pic, elles-mêmes à flanc de montagne pour corser la difficulté. Les ruisseaux à négocier dans des lieux escarpés. Les corniches en bordure d'un ravin. Et les sentiers tracés en travers d'éboulis qui roulent sous la semelle et qui ont parfois effacé le passage aménagé, condamnant le marcheur à voler, d'un pas aussi léger que l'elfe Legolas, sur un champ incliné de rocaille instable.

Par la route départementale, la localité du Fugeret est à cinq kilomètres et demi d'Annot, et à peine 140 mètres plus haut. Par la route des randonneurs, il faut compter plusieurs kilomètres en plus de lacets et culminer à 600 mètres au-dessus d'Annot avant de redescendre. Si la montée a toujours quelque chose d'exaltant, la descente est invariablement tuante en raison de la concentration qu'elle exige si la pente est le moindrement abrupte. Les lois de la physique sont telles qu'il est plus facile de perdre pied en descendant qu'en montant.

Mais ce sont justement cet effort physique requis en montant et cet effort mental requis en descendant qui font de la randonnée en montagne un excellent moyen d'oublier le travail. Et puis, il y a la récompense du paysage déplié sous mes yeux comme dans un livre d'images, façon Une France vue du ciel. Des hauteurs de Roncharel, je dominais Annot et le fond de la vallée de plus d'un demi-kilomètre. Par la suite, en dévalant le sentier menant au Fugeret, je pouvais me croire dans un avion en train d'atterrir, tellement les maisons apparaissaient toutes petites au départ avant de grossir et de retrouver leur taille réelle.

Dans un pays aussi densément habité et exploité, il ne reste d'ailleurs que l'altitude brute et l'ossature rocheuse (exception faite de quelques carrières) à appartenir de plein droit au règne de la nature. Tout le reste est plus ou moins artificiel. Les bois et les forêts qui occupent les flancs des vallés témoignent de l'effort de reboisement depuis 1850 et les grandes inondations de l'époque. Jean Giono a évoqué cette saga dans « L'homme qui plantait des arbres ». Ce récit transformé en dessin animé par Frédéric Bach pour l'Office national du film canadien a aussi inspiré une ébauche de texte de Laurent McAllister pour un numéro spécial d'imagine... en 1994, « L'arbre qui plantait des hommes ». Auparavant, le paysage aurait été aussi ratiboisé qu'Haïti à l'heure présente, en raison de la surexploitation pour le chauffage ou la construction, ainsi que du défrichement pour ouvrir au bétail des pâturages. Maintenant, la région est plus proche du Japon des Tokugawa que Jared Diamond décrit dans Collapse. En revanche, la plupart des sources avoisinant Annot ont été captées. Touchant au terme de mon ascension, j'ai été bien surpris d'entendre non pas le bruit d'une eau qui coule librement, mais le halètement rythmé du moteur d'une pompe. Tout comme la source de la Combe Renard et du Verdre, la source du Roncharel, à 1322 mètres d'altitude, était asservie aux besoins de la région. Des tuyaux noirs s'enfonçaient dans l'humus, sous les feuilles mortes, pour aller la porter aux robinets et fontaines en contrebas. De fait, ce n'est pas dans une région aussi touristique qu'on oublie la civilisation. Des avions survolent les cimes en grondant, les mobylettes, voitures et camions sur la route s'entendent de loin, les sentiers ont été balisés et la forêt elle-même est quadrillée de citernes (en cas d'incendie) et de routes, pavées ou non. Sans oublier les ruines d'abris de berger, de sanctuaires ou d'anciennes maisons.
Pourtant, après avoir croisé quelques pique-niqueurs dans un champ, je n'ai vu presque personne sur mon chemin jusqu'au Fugeret. Une camionnette m'a dépassé sur la route et j'ai salué de loin le gîte d'étape de Roncharel. Sinon, il faut attendre l'arrivée au gîte d'étape de Saint-Pierre, au Fugeret (photo ci-dessus). Du coup, au souper pris en commun, j'ai goûté autant la nourriture que la compagnie d'un groupe de randonneurs, au nombre de neuf en incluant le guide. Il s'agissait pour l'essentiel de dames d'un certain âge, sans doute retraitées, dont les prénoms rappelaient une autre époque : Arlette, Maryse, Suzon... (Photo prise au Fugeret, combinant de vieilles pierres et une antenne fort moderne...)

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