2007-04-01

 

La bravoure de la bête

Lecture du jour : le roman The Brave Bulls (1949) de Tom Lea, qui est peut-être du sous-Hemingway, mais comme mes souvenirs des pages de Hemingway sur les toreros se sont fortement estompés, je l'ai lu sans idées préconçues...

L'histoire tient autant de l'enquête anthropologique ou sociologique que du roman. Lea décrit le monde de la corrida, qui relie les familles miséreuses de matadors capables de tout risquer et les familles de grands propriétaires qui élèvent les taureaux destinés à périr dans l'arène. Les agents, les imprésarios, les fans, les assistants des toreros... Ils apparaissent tous dans les pages du livre, mais c'est le destin d'un matador exceptionnel, Luis Bello, qui retient l'attention.

Il a déjà fait une longue carrière. Un de ses frères cadets est devenu matador à son tour. Mais il n'a pas fondé de famille, après la mort précoce de la femme qu'il aimait. Tout d'un coup, la mort de plusieurs proches (son agent, un collègue, une femme avec qui il espérait redécouvrir l'amour) lui rappellent sa propre mortalité. Lui qui n'avait jamais eu peur de sa vie dans l'arène commence à craindre les cornes des taureaux. Ses performances deviennent erratiques.

La corrida a retenu l'attention d'auteurs du siècle dernier comme Hemingway pour plusieurs raisons. S'il s'agit d'une forme de performance sportive dans sa version la plus primitive, les aficionados de la corrida l'ont transformée en un art proche de la chorégraphie, mais qui intègre nécessairement une part d'improvisation. En un art profondément particulier, qui fait intervenir l'affrontement archétypal de l'homme et de la bête, qui exige de l'homme du sang-froid et de l'intelligence, seul contre l'animal, et qui fait de la mort d'un être vivant (le taureau ou l'homme) l'ingrédient presque obligé de la création. De nos jours, quelques sports (le patinage artistique) ont incorporé des éléments esthétiques qui les font hésiter entre deux domaines, mais ils ne vont pas aussi loin que la corrida.

En même temps, le combat est inégal : c'est presque toujours le taureau qui meurt. Le matador risque la mort, mais il a presque tous les avantages. Dans The Brave Bulls, Luis Bello ne se bat pas contre la mort, mais contre la peur de la mort. L'affrontement de la corrida est une métaphore, et non la chose en soi, mais il s'agit d'une métaphore extrêmement efficace parce que la distance entre la métaphore et la réalité est singulièrement réduite dans l'arène.

Le titre renvoie explicitement à la bravoure des taureaux, qui sont sélectionnés pour faire preuve d'une agressivité exacerbée, mais il désigne implicitement les hommes qui entrent de leur plein gré dans l'arène. Toutefois, si le courage exigé de ces hommes est grand, le combat du taureau est sans espoir. L'animal ne le sait pas : c'est pourquoi il est difficile de juger où se trouve la plus grande part de bravoure.

Mais seuls les acteurs humains du drame dans l'arène peuvent apprécier la beauté de la mise à mort et aussi le drame du combat désespéré du taureau.

On a fait un film en 1951 du roman de Tom Lea, qui a connu un certain succès. La narration est certainement prenante, mais l'affrontement culminant du matador vieillissant et des taureaux (ou plus exactement du matador et de ses peurs) aboutit à une prise de conscience un peu banale. On doute franchement qu'elle soit la clé de la bravoure des toreros; on reste sur l'impression que le courage du matador n'est pas de ceux qui s'expriment ou s'expliquent avec des mots. C'est peut-être pourquoi toute cette littérature axée sur l'étalage ou la révélation des vertus viriles a fini par péricliter. Le machismo ne s'écrit pas.

Tom Lea n'est pas resté dans les annales de la littérature, sauf régionale, mais je crois que, dans ce cas-ci, un auteur a rencontré son sujet idéal. Il présente de manière absolument convaincante le Mexique de l'après-guerre, qui panse encore les plaies de la Révolution. Il traduit parfois littéralement des expressions espagnoles (¿Qué pasa?, Lo siento mucho, A vuestro servicio), de manière à conférer aux dialogues quelque chose de la saveur du mexicain. Et Lea a la sagesse de ne pas ambitionner; il raconte sobrement, sans forcer le trait, sans céder au sentimentalisme le plus prévisible, ce qui donne d'autant plus de prix au triomphe final des frères Bello.

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