2007-03-31

 

Quand les aveugles regardent

Blind Lake de Robert Charles Wilson est un roman à chute. C'était déjà un peu le cas de Spin, mais la narration de Spin dosait les révélations et les surprises tout au long du roman. Dans le cas de Blind Lake, il s'agit plutôt d'aboutir, au terme d'une montée progressive de la tension, à un moment culminant.

Dans le roman de James Gunn The Listeners, des scientifiques affectés à un radio-télescope cherchaient à capter un signal d'origine extraterrestre. Blind Lake s'intéresse à des observateurs de la vie extraterrestre qui sont littéralement aveugles. Dans un avenir pas trop éloigné, ils utilisent, semble-t-il, des ordinateurs quantiques à base de condensats de Bose-Einstein qui leur permettent d'observer deux planètes éloignées, sans avoir eu autre chose qu'un accès initial à des observations visuelles ou télescopiques. Il n'existe que deux installations de ce genre aux États-Unis, dont une dans le nord du Minnesota. Cette petite base scientifique fondée autour du lieu-dit Blind Lake est coupée du monde un beau matin par des mesures de sécurité exceptionnelles. Les employés sont pris au piège, ainsi qu'un trio de journalistes.

En l'absence de rebondissements majeurs, puisque le secret règnera longtemps sur les raisons de cet isolement, le roman doit être porté par les personnages. Au nombre des principaux, il y a un journaliste déchu, Chris Carmody, au bord de la dépression en raison des résultats tragiques de ses bonnes intentions dans le passé. Il y a aussi deux scientifiques, Raymond Scutter, qui devient le directeur par défaut du centre en l'absence de ses supérieurs, partis au moment de la mise en quarantaine, et son ancienne femme, Marguerite Hauser. Ils se partagent la garde de leur enfant, une fillette appelée Tess qui est tourmentée par des voix et des visions attribuées au traumatisme du divorce. Et ils se détestent.

En fin de compte, je me suis demandé jusqu'à quel point Wilson avait truffé le roman de fausses pistes. Un personnage secondaire s'appelle Costigan, allusion possible à un vieux roman de science-fiction dont le protagoniste, le professeur Costigan, transportait par erreur une petite communauté sur un autre monde. Pendant un moment, on se demande s'il s'agit d'un autre scénario de transport d'une communauté entière sur un autre monde, dans un univers parallèle ou dans un autre temps, comme dans City at World's End d'Edmond Hamilton. La théorie du déplacement dans un monde parallèle tient un peu plus longtemps — mais ce n'est pas le cas.

Ceci entretient le suspense, mais au prix de tout faire dépendre de la révélation finale. Or, celle-ci est trop extraordinaire dans un sens pour vraiment faire rêver. Le lien entre la réalité scientifique et l'imaginaire est trop distendu. Quant aux personnages, on sympathise certainement avec les plus sympathiques, mais il y a quelque chose d'un peu trop mécanique dans le dévoilement des secrets familiaux qui les ont façonnés et qui expliquent leur tempérament. Le psychologisme freudien refait surface, au mépris de tout ce que nous savons aujourd'hui sur les déterminants biologiques et génétiques de nos caractères.

Bref, il s'agit d'un bon roman de Wilson, mais non d'un roman exceptionnel : personnages attachants, suspense bien ménagé, petite thèse (et débat) philosophique pour faire réfléchir, observation très fine du quotidien et de ses moments singuliers... Il manque toutefois l'idée science-fictive qui promettrait un monde transformé, ce qui est en dernière analyse l'intérêt principal de la science-fiction : la possibilité d'un autre monde.

Quant au film sud-coréen The Host, il vaut surtout par le dépaysement. Des rejets toxiques dans un fleuve sud-coréen ont donné naissance à un monstre aquatique, une créature numérique aux mouvements d'une fluidité impressionnante, que ce soit sur terre, dans les égouts souterrains ou dans les entretoises des ponts de la ville. Une famille est aux premières loges de l'éruption initiale de la créature qui s'en prend aux promeneurs dans un parc au bord de l'eau. Le grand-père tient une concession, avec l'aide de son fils, lui-même parent d'une petite fille. Lorsque la fillette, Hyun-seo, est capturée par le monstre mais survit en appelant son père à l'aide, le grand-père peut compter sur ses deux autres enfants, un diplômé universitaire sous-employé et une sportive qui pratique le tir à l'arc.

Tous les membres de la famille ont leurs défauts et le film incorpore donc une dimension comique qu'on ne retrouve pas dans les classiques du genre comme Alien. La combinaison de l'horreur et de la comédie est un peu incongrue pour un public occidental, mais cela semble passer beaucoup mieux dans les créations du cinéma asiatique. Contrairement aux films hollywoodiens, The Host ne se termine pas tout à fait comme on s'y attendrait, mais ce n'est pas rédhibitoire. Par contre, certaines des péripéties et certains des effets spéciaux sont franchement faibles, mais il y a quelques bons moments (en particulier, la séquence initiale qui voit le monstre sillonner le parc riverain), ainsi que des aperçus fascinants de la vie en Corée du Sud.

Bref, c'est un peu meilleur qu'un série B, mais pas beaucoup plus.

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