2007-03-14

 

L'art de la photographie (1)

Presque trois mois plus tard, j'ai étrenné un cadeau de Noël de moi à moi, une caméra numérique Sony Cyber-Shot DSC-N1. Il était temps de découvrir si j'avais bien dépensé mon argent ou non... Comme je ne crois pas au gaspillage, j'ai chronométré mon apprentissage afin de le comparer éventuellement à un autre projet photographique, celui de l'utilisation d'un appareil ayant appartenu à mes grands-parents de Saint-Boniface, une Brownie Target Six-20 de Kodak, fabriquée au Canada. Aux États-Unis, ce modèle avait été introduit en avril 1941; la version canadienne doit donc être postérieure. Comme l'appareil semble identique aux appareils fabriqués aux États-Unis, alors que les versions britanniques d'après-guerre diffèrent sur quelques points, je suis tenté de croire que l'appareil a été fabriqué au Canada en raison des mesures prises pour contrôler les stocks de matériaux vitaux en temps de guerre ou pour contrôler les flux de devises (l'importation d'un appareil fabriqué aux États-Unis aurait entraîné une sortie de devises requises par le gouvernement pour d'autres besoins).

L'appareil appartient à la prestigieuse lignée des Brownies de Kodak. Petites créatures de la mythologie britannique, ces farfadets folkloriques sont devenus la marque de commerce d'un dessinateur d'origine québécoise, Palmer Cox, né à Granby le 28 avril 1840, mort en 1924. Les petits recueils de poèmes humoristiques composés par Cox pour accompagner ses dessins des brownies (ou était-ce l'inverse?) ont été immensément populaires. Il y a encore aujourd'hui à Granby une demeure conçue par Cox pour ses frères et qui reste connue sous le nom de Château (des) Brownies. Dans plusieurs pays, dont le Canada à l'extérieur du Québec, les jeunes Guides de la branche féminine du scoutisme portent encore le nom de Brownies; si la source citée pour ce nom est antérieure à Cox, la popularité de ses propres Brownies n'a pas dû nuire à la conservation du nom... Et, bien entendu, la compagnie Kodak a utilisé les Brownies de Cox pour le lancement en 1900 de sa nouvelle caméra pour tous, tout particulièrement destinée aux femmes et aux enfants. Cox ne semble pas avoir accordé sa permission... (Non qu'il était opposé à l'exploitation commerciale de ses créations iconographiques; depuis 1887, il avait permis à une quarantaine de produits de s'associer à ses Brownies!)

La conception du devant de la Brownie Target de 1941 conserve quelque chose d'un peu fantaisiste. On dirait vraiment un visage, un peu ébahi ou effaré, voire un peu robotique. De ce point de vue, la Brownie Target est bien différente des appareils photographiques que Kodak destinait à des usagers plus chevronnés, comme la Kodak Autographic (Junior) 1A, qui remonte à 1914. Celle-ci avait pour particularité de laisser les photographes inscrire quelques mots sur la pellicule par une petite fenêtre découpée dans le dos de l'appareil. Mes grands-parents de Saint-Boniface ont aussi laissé un tel appareil Kodak, au boîtier très usé par les an, comme on peut le voir dans la photo ci-gauche. Malgré l'usure des ans, les soufflets en cuir se déplient encore fort correctement et il reste possible de viser en utilisant la réflexion interne dans le prisme qui surmonte l'objectif. Ce que je trouve fascinant, presque un siècle plus tard, c'est que la technologie moderne de la Cyber-Shot DSC-N1 de Sony, avec son écran tactile qui permet de griffonner des notes sur les photos au moyen d'un stylet, renoue avec l'astuce de Kodak en 1914, qui permettait l'inscription de quelques mots sur la pellicule, dans l'intervalle entre deux poses. L'originalité de nos technologies ne doit pas être exagérée... mais leurs avantages sont indéniables : les rouleaux de films Kodak pour l'Autographic Junior 1A ne comptaient que huit poses!

Mon apprentissage de la photo numérique ne m'a pas pris trop longtemps. Selon mes notes, l'inventaire du matériel et de la documentation qui se trouvaient dans la boîte m'a pris huit ou neuf minutes, après quoi j'ai commencé à lire les manuels. Quatre minutes plus tard, je branchais la pile rechargeable. Après avoir feuilleté plutôt que lu la version longue du manuel, je me suis surtout fié à la version courte pour passer à l'étape suivante. Une fois la pile insérée dans l'appareil, il m'a fallu six minutes de manipulations prudentes pour prendre mon premier cliché de l'ère numérique. Et qu'ai-je choisi comme première photo numérique? Une toile de l'expressionniste allemand Walter Gramatté... tout simplement parce qu'elle se retrouvait sur une affiche bien visible dans le sous-sol où j'opérais. Une fois la photo réussie, j'ai éteint l'appareil et je suis allé me coucher, en remettant à plus tard la prise de photos des vieux appareils Kodak ci-dessus pour le cours que j'enseigne.

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