2007-01-07

 

La physique des caractères

Qui était Ptolémée l'astronome? Un grand savant de l'Antiquité qui, à défaut d'être novateur et original, a su synthétiser les connaissances de son temps sous une forme utile à ses successeurs? Bref, malgré certaines approximations et erreurs, demeure-t-il possible d'en faire un digne représentant de l'astronomie hellénistique? Ou bien, l'accumulation de ses erreurs, contrefaçons et plagiats fait-elle de lui un simple faussaire, astrologue vénal qui ment d'un bout à l'autre, qui flatte les penchants de ses patrons et qui colporte une vision du cosmos en phase avec les préjugés du clergé alexandrin? (En termes modernes, on le comparerait alors à quelque scientifique à la solde d'un fabricant de cigarettes ou d'une compagnie pétrolière.)

Dennis Rawlins, qui produit la revue Dio, défend le second point de vue avec acharnement, dans la lignée d'al-Soufi, de Delambre (.PDF) et Robert Newton. Un bilan récent de Thurston confirme sans ambages que Ptolémée n'a pratiquement rien fait de ce qu'il affirme avoir fait en tant qu'astronome. Le modèle astronomique de Ptolémée demeure le meilleur modèle disponible avant Copernic, mais il est douteux qu'un aussi piètre praticien ait pu y apporter grand-chose. L'œuvre de Ptolémée restera donc comme le témoignage suprême de l'astronomie géométrique des Grecs anciens, mais sans qu'on puisse associer plus de la centième partie de ce travail au génie de Claude Ptolémée lui-même.

Que peut-on reprocher à Ptolémée, en définitive? D'une part, il s'est attribué le mérite qui revenait à d'autres en prétendant avoir exécuté lui-même les observations qui fondaient son système, en laissant entendre donc qu'il était l'auteur de tout, de bout en bout. D'autre part, il a entériné un système géocentrique à force de solutions ad hoc essentiellement pour la commodité des astrologues. Pour Rawlins, cela fait de Ptolémée un très sombre personnage. Mais Rawlins a fait ses premières armes en physique. Or, la véracité de l'observateur est une vertu cardinale des physiciens et la bête noire de nombreux astronomes et physiciens de sa génération, c'était l'astrologue qui colportait une vision périmée du cosmos pour son gain personnel. Par conséquent, un astrologue doublé d'un faussaire est quelque chose comme une bête noire absolue.

L'enjeu du débat pour les historiens des sciences, c'est de savoir si, pour des raisons plus ou moins contingentes, l'astronomie a reposé pendant un millénaire sur un ouvrage secondaire par un astrologue et compilateur fou, ouvrage qui aurait eu pour principal mérite de survivre tandis que périssaient les travaux d'astronomes plus méritoires comme Aristarque (pour qui la Terre tournait autour du Soleil) ou Hipparque. L'histoire de l'astronomie prendrait alors une coloration assez comique, pour ne pas dire risible. Or, les historiens préfèrent trouver un minimum de dignité dans leur sujet : au lieu d'admettre que nombre de « grands hommes » du passé seraient vite enfermés dans nos sociétés modernes, ils réussissent à leur accorder les vertus de leurs vices. Au lieu d'admettre que le manuel bâclé d'un astrologue provincial ait fondé toute l'astronomie ancienne, ils préféreront déceler une méthode dans le fatras des faussetés.

Néanmoins, il y a sans doute quelque chose de trop tranché dans la dichotomie de Rawlins. Entre le savant idéal, infaillible et parfaitement consciencieux, et le plagiaire vénal, astrologue et charlatan, il y a place pour l'érudit inlassable mais vantard et trop soucieux de sa propre gloire (ou de celle de ses protecteurs).

Les bons physiciens font de mauvais romanciers. Pour un physicien, il faut que tout soit clair et limpide, mais le cœur humain recèle des zones d'ombre et l'existence humaine des moments de faiblesse. Et l'inverse.

L'autre jour, Wesley Autrey a sauté sur la voie du métro à New York afin de sauver un jeune homme en proie à une crise d'épilepsie qui était tombé. Autrey s'est couché sur lui entre les rails et la rame est passée au-dessus d'eux. Les reportages et les témoignages qui ont suivi ont souligné que l'héroïsme est souvent de circonstance. On ne peut dire : héros un jour, héros toujours. Les gens ordinaires qui accomplissent des actions héroïques sans préparation aucune sont souvent les premiers surpris de ce qu'ils ont fait. Leur propre réaction les a surpris, et ils ne sauraient garantir qu'ils le referaient si l'occasion se représentait.

L'héroïsme est un acte exceptionnel, et non un trait de caractère. Les superhéros de la fiction posent des gestes héroïques de manière routinière parce que leurs pouvoirs leur permettent de le faire. Pour eux, l'extraordinaire est littéralement ordinaire. C'est peut-être ce qui les rend si populaires. On ne supporterait pas de voir des gens comme nous se montrer héroïques tous les jours. Il y aurait comme un reproche implicite... Mais applaudir aux exploits de gens pour qui l'héroïsme est ordinaire, c'est plus facile.

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