2006-12-03

 

Un anti-politicien

La surprise sera venue de Stéphane Dion.

J'avoue que je ne m'y attendais pas. D'ailleurs, on peut soutenir que ce sont deux votes qui ont fait toute la différence pour lui. En devançant Kennedy au premier tour, il se positionnait comme solution de rechange pour ceux qui rejetaient Ignatieff et Rae, tout en acquérant un avantage moral dans ses tractations avec Kennedy. C'est-à-dire que celui-ci aurait pu refuser de se rallier (comme Rae plus tard) si Dion l'avait dépassé d'un tour à l'autre. En tombant au quatrième rang dès le début, en revanche, Kennedy était forcé d'envisager son retrait et son ralliement. Quand les chiffres n'ont pas suivi, Kennedy s'est résigné beaucoup plus facilement en constatant que Dion avait creusé son avance, profitant du soutien de Findlay et grappillant sans doute des voix chez les partisans de Brison et Volpe. La fidélité des partisans de Kennedy, qui semblent avoir suivi le mot d'ordre de leur candidat, a fait le reste et pratiquement scellé la victoire de Dion.

Si la dynamique d'un congrès peut expliquer en partie la victoire de Dion, il faut pourtant qu'il exerce un attrait quelconque sur les congressistes. Mais lequel? Certes, il fait maintenant partie des meubles du parti; on le connaît, il a fait ses preuves et il n'a pas été mêlé au scandale des commandites. Il n'était ni un parachuté (Ignatieff) ni un transfuge (Rae). Mais quand même... S'il a livré la marchandise dans le dossier de l'unité nationale, il n'a pas réussi à faire des étincelles dans le dossier environnemental, faute de temps peut-être. Son plan pour atteindre les objectifs de Kyoto aurait-il fonctionné? Nous ne le saurons jamais, mais sa prestation comme ministre de l'Environnement lui a gagné un capital de sympathie automatique.

(Cela fait maintenant quelques années que ce ministère encore tenu comme mineur est devenu une véritable pépinière d'hommes d'État, en particulier s'ils sont québécois. Lucien Bouchard, Jean Charest et André Boisclair ont été ministres de l'Environnement, au provincial ou au fédéral. C'est comme un certificat de vertu moderne.)

Mais, sur le plan personnel, comment Dion fait-il pour séduire? Eh bien, il semble qu'au Canada anglais, l'intellectuel conserve un certain cachet qu'il n'a clairement pas au Québec. De plus, les caricatures de Chapleau auront joué en quelque sorte le rôle des bouteilles et des pierres lancées à Pierre Trudeau en 1968 lors de la Saint-Jean-Baptiste. Braver le ridicule et les farces plates des nationaleux québécois est la marque d'un courage moral au moins aussi grand que le courage physique de Trudeau. Il en retire donc l'aura d'un homme qui a des principes.

Et puis, il est clair que Dion doit en partie sa victoire à Harper. Celui-ci lui a rendu deux services. D'abord, sa gestion du dossier de l'environnement est à ce point catastrophique qu'elle crédibilise a posteriori celle de Dion (pourtant pas si fameuse). Ensuite, il l'a tiré d'affaire en faisant voter par le Parlement une motion faisant des Québécois une nation. Stratégie consciente ou non de la bouteille à l'encre, la décision de Harper a permis à Dion d'éviter d'avoir à se braquer une fois de plus. L'intransigeance de Dion pourrait finir par lui rapporter, tout comme celle de Harper a ses fans, mais elle aurait été de trop à la veille du congrès.

Bush était l'autre allié absent de Dion, car il ne fait aucun doute que le soutien d'Ignatieff pour la guerre de George W. Bush en Irak repoussait d'emblée une partie des congressistes.

Néanmoins, si Dion séduit, c'est sans doute parce qu'il n'est pas un politicien comme les autres, justement. Il n'est pas spécialement télégénique, avec ses épaules tombantes, son ton professoral et son impuissance d'intellectuel à traiter la mauvaise foi comme elle le mérite. (George W. Bush a beaucoup profité, lui, de l'incapacité de ses adversaires à réagir à ses mensonges éhontés et à son dédain cavalier pour la vérité.) Mais les politiciens n'ont pas la cote, en particulier après le scandale des commandites. Dion est un anti-politicien et il en a bénéficié.

En 1968, le Canada était prospère et se cherchait une nouvelle voie politique. Trudeau a profité de la conjoncture pour s'offrir au pays. Dion exploitera-t-il sa différence de la même façon? En fait, je suis plutôt enclin à le comparer à Mike Pearson, le fonctionnaire un peu compassé qui n'a jamais remporté de majorité mais qui a pourtant changé l'histoire du Canada. Pearson n'était pas charismatique, mais il avait pour lui l'intelligence et le courage qu'il fallait pour oser transformer le pays.

Mais pour savoir si Dion sera l'un ou l'autre, il faudra qu'il se fasse élire à la tête d'un gouvernement minoritaire ou majoritaire...

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