2006-12-02

 

Si j'étais au congrès d'investiture...

Ayant échappé de peu à la mort, je suis de retour à Montréal.

Prendre un taxi à Montréal n'est pas pour les pleutres. D'abord, il ne faut pas compter sur les chauffeurs pour connaître ne serait-ce que les meilleurs itinéraires du centre-ville. Montréal n'est malheureusement pas Londres, où les détenteurs d'un permis de taxi doivent réussir ce qu'on appelle un test appelé The Knowledge. (Ceux qui se targuent de connaître Londres un tant soit peu sont invités à prouver leur connaissance du centre-ville ici.) Et, à Montréal, un passager ne doit pas se contenter d'indiquer l'itinéraire à suivre au chauffeur, il a intérêt à le surveiller s'il tient à sa vie. Le taxi que j'avais pris s'est trompé de voie sur la rue des Pins, fonçant brièvement à la rencontre d'une mini-fourgonnette... qui a heureusement évité la collision.

Au congrès libéral, il y a des candidats qui n'ont pas évité la collision avec la réalité. Ce ne sont pas tant les résultats du premier tour qui représentent la réalité, même s'ils nous réservent toute une journée de manœuvres politiques aujourd'hui. Le grand jeu commence...

Avec 1412 voix et moins de 30% du vote, Ignatieff n'a pas réussi à confirmer l'avance que l'omniprésence de ses partisans semblait lui assurer. Tout devient possible pour les autres candidats. Le trio des seconds couteaux (Bob Rae, Stéphane Dion, Gerard Kennedy) n'est pas loin derrière (avec respectivement 977, 856 et 854 voix). En cinquième place, Ken Dryden se hisse péniblement au-dessus de la barre des 200 voix (238). Le peloton de queue (Scott Brison, Joe Volpe et Martha Hall Findlay) n'est présent que pour la forme (avec 192, 156 et 130 voix respectivement).

Findlay débarque parce qu'elle est dernière et Volpe s'est rallié à Rae hier soir. Reste donc Scott Brison. Il n'a aucune raison de se cramponner, si ce n'est que pour connaître sa véritable cote de popularité. Le premier tour restait dominé par les votes acquis des délégués, mais ceux-ci redeviennent libres de leurs choix lors du second tour. Ce sera le tour le plus éclairant, si Brison choisit de rester. Néanmoins, il pourrait décider de se rallier avant de se soumettre au choix des votants. Sa performance au podium hier soir a été plus appliquée qu'époustouflante. Je doute qu'il attire beaucoup de voix.

Que fera-t-il? Il peut effectivement choisir de passer dans le camp d'un des candidats de tête. Il pourrait relancer la candidature d'Ignatieff, en panne d'essence, ou il pourrait créer un effet boule de neige au profit de Bob Rae. Ou bien, il pourrait jouer le tout pour le tout et endosser Gerard Kennedy. Brison a l'avantage de la jeunesse; il peut se permettre de parier sur le mauvais cheval, en se disant au besoin que Kennedy aussi a encore de belles années devant lui. Une alliance forgée en ce moment pourrait rapporter sur le long terme. Et s'il faisait la différence en permettant à Kennedy d'entamer une montée irrésistible, Kennedy serait son débiteur, et beaucoup plus qu'Ignatieff ou Rae le seraient.

Dryden peut-il encore surprendre? Son discours, même écourté (et je n'en ai entendu que la fin), me semble avoir soulevé la foule. Le deuxième tour démontrerait si les congressistes seraient portés à le récompenser. À moins qu'ils votent pour lui afin de garer leurs voix avant le troisième tour...

Si Kennedy a été authentiquement émouvant, Stéphane Dion aura déçu. Pourtant, les attentes n'étaient pas si élevées dans son cas. Il lui suffisait de les surpasser pour se distinguer. Son bon score au premier tour souligne son potentiel, mais le tour suivant, là encore, risque de nous en dire plus sur l'opinion des congressistes.

Pourtant, il ne faut pas sous-estimer le défi relevé par Dion, car ce fut le seul (que j'ai vu) qui ait tenté de s'adresser réellement aux deux publics, celui des anglophones et celui des francophones. Après une introduction du tonnerre par le nouveau député libéral au Parlement, Dion a commencé en français, au risque de refroidir ses partisans anglophones. (J'aimerais croire que les délégués francophones lui en sauront gré, en tout cas.) C'était peut-être pour se donner un peu d'allant en sollicitant les applaudissements des francophones avant d'aborder les parties de son discours en anglais, qui lui ont effectivement donné du fil à retordre. (Curieusement, il a aussi trébuché en français.)

Au début, j'ai cru que Dion avait retardé le moment d'entrer en scène afin de réduire au minimum la durée de son discours, l'art oratoire n'étant pas une de ses forces. Mais non, car il avait prévu un discours si long qu'il n'a réussi qu'à en livrer les deux tiers environ avant de manquer de temps. Quoi qu'il en soit, son discours est tombé à plat. En anglais, ce qui lui fait défaut, c'est moins l'articulation que l'intonation. Il n'est tout simplement pas à l'aise, alors que Jean Chrétien massacrait la langue de Shakespeare sans donner l'impression d'être forcé de parler une langue qu'il ne comprenait pas. On se demande franchement comment un professeur d'université peut le devenir sans avoir acquis une meilleure maîtrise de l'anglais...

Bob Rae a montré les limites de son bilinguisme tout en ayant le courage de se lancer sur scène sans notes. Il avait sûrement répété, car il a livré quelques bonnes piques. Mais il n'a presque rien dit en français et il a versé par moments dans le nombrilisme sentimental souvent propre à la gauche néo-démocrate. Cela pourrait quand même suffire à le mener à la victoire, tellement j'ai l'impression que le soutien d'Ignatieff est limité...

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