2006-12-25

 

Noëls d'antan

On parle beaucoup des accommodements raisonnables en ce moment au Québec. Les impératifs religieux et les règles de conduite acceptées par la société civile s'affrontent. (Je crois qu'il serait difficile de citer des impératifs autres que religieux à l'origine de difficultés similaires.) Même la fête de Noël n'échappe pas aux débats. Toutefois, comme dans le cas d'Idomeneo à Berlin, la fête de Noël suscite plutôt le contraire : des tentatives d'accommodements « déraisonnables » fondées sur les réactions appréhendées. C'était le cas à Toronto, quand une juge a décidé d'écarter d'un endroit passant un arbre de Noël qu'elle jugeait potentiellement dérangeant ou offensant pour les fidèles d'autres religions. Ironiquement, le sapin de Noël est loin d'être un symbole univoque de la fête chrétienne de la Nativité du Christ; même si la tradition ne semble remonter qu'au XVIe siècle, il y a de fortes raisons de croire qu'elle s'enracine dans les cultes pré-chrétiens de l'Europe germanique. Au Canada, le sapin de Noël aurait fait sa première apparition à Sorel en 1781 lorsqu'un général allemand y érige un arbre, quelques années après le lancement aux États-Unis d'une tradition semblable par un prisonnier de guerre allemand établi au Connecticut, aux alentours de Windsor Locks. Mais tant qu'à se pencher sur le passé, je me tourne une fois de plus vers la collection de cartes de Valérie Mailhot, la tante de mon grand-père Trudel, collection qui semble remonter aux années 1908-1910.

La carte ci-dessus indique que le téléphone était déjà entré dans les mœurs à cette époque, mais la composition est aussi quelque peu mystérieuse. Comment pouvait-on appeler le Père Noël (ou Saint-Nicolas) au début du siècle dernier? Bell engageait-il un Père Noël téléphonique? Un oncle lointain jouait-il le rôle pour les enfants de la famille? Ou s'agit-il d'une scène purement imaginaire qui met tout simplement en scène le désir de rejoindre le Père Noël par tous les moyens possibles? Mais si cette carte suggère que Noël était déjà devenu en 1909 la fête des enfants, centrée sur le personnage du dispensateur de cadeaux (ou de punitions), une autre carte évoque beaucoup plus clairement la dimension religieuse de la fête. Dans l'illustration reproduite ci-contre, c'est une église qui est associée au soleil levant (symbole de la résurrection), entre une branche de conifère (symbole de la vie éternelle) et des fleurs blanches (symboles de pureté).

Dans un genre apparenté, cette autre carte offre également des images bucoliques. Contrairement à la précédente, toutefois, elle ne reflète pas un paysage canadien, car il n'y a pas de neige et l'habitation rappelle plutôt un type de chaumière retrouvé en Europe (et particulièrement en Grande-Bretagne). La représentation d'un chemin ascendant parle néanmoins aux croyants de la voie qu'il faut suivre pour s'élever vers Dieu. Quant aux fleurs, il pourrait s'agir de chrysanthèmes. Selon certaines traditions, de tels chrysanthèmes poussaient autour de la crèche de Bethhléem. Leur ressemblance avec l'étoile des Mages aurait confirmé aux rois mages qu'elle était un signe complémentaire donné par Dieu pour leur permettre de trouver Jésus. Le chrysanthème serait ainsi connu de certains sous le nom de fleur de l'Épiphanie ou étoile de Bethléem. Tout en conservant une connotation religieuse et sacrée, le but de cette carte demeure l'envoi de salutations ou de vœux. La symbolique est secondaire. Ce que je retiens de la collection Mailhot, par contre, c'est que les cartes de Noël sont loin de constituer une masse si importante qu'elle l'emporterait nettement sur les cartes des autres occasions. Pâques, le Nouvel An ou la Saint-Valentin sont aussi représentés dans la collection et Noël n'a pas encore l'importance que cette fête a aujourd'hui pour certains.

L'iconographie de Noël est aussi un peu différente. Le Père Noël actuel, avec son ample bedaine, son costume rouge, son bonnet à pompon, etc., n'est pas aussi présent qu'aujourd'hui. Le langage des fleurs, tellement prisé à l'époque victorienne, est beaucoup plus présent dans ces dernières cartes. Le houx et le chrysanthème, entre autres fleurs de Noël, apparaissent plutôt pour livrer un message facilement décodé par ceux et celles qui parlent la langue des fleurs. Les paysages ornant ces cartes se prêtent-ils aussi à un déchiffrement similaire? Ou serait-ce de la surinterprétation? Les paysages enneigés pourraient tout simplement refléter la réalité canadienne, et certainement la réalité manitobaine... Néanmoins, l'utilisation de paysages hivernaux permet d'inclure des nappes de neige blanche, symbole de l'innocence, de la pureté et de la vérité. De plus, l'hiver a toujours été vu comme une saison qui correspond à une éclipse de la vie. La combinaison d'un paysage hivernal et de branches de houx, comme dans l'illustration ci-contre, est une manière de souligner la possibilité de la résurrection et de la vie éternelle, une des promesses centrales du christianisme. Après la mort (de la nature), la vie (de l'âme). Tout se retrouve donc dans cette composition, de sorte que la joie promise peut être celle des festivités associées à Noël tout comme elle peut être celle du croyant.

Mais Saint Nicolas n'est pas absent de ces cartes. Il ne ressemble pas tout à fait au personnage de l'iconographie traditionnelle, comme on peut le voir ici ou ici ou dans ce billet qui retrace l'histoire iconographique du Santa Claus étatsunien, car il lui manque plusieurs éléments de l'appareil épiscopal habituel. (Même la crosse est à moitié cachée dans la carte ci-contre, de sorte que ce saint Nicolas selon Ernest Le Deley, imprimeur de cartes postales à Paris domicilié au 127 boulevard Sébastopol, ressemble plus à Gandalf... Est-ce un simple hasard? Les critiques ont souvent souligné la dimension christique du personnage de Gandalf, envoyé dans la Terre du Milieu pour sauver les mortels, mais les traits que lui a donné Tolkien rapprochent Gandalf de personnages plus terrestres, comme Saint Nicolas...) La photo, un peu floue et pas des plus heureusement coloriées, incorpore plusieurs éléments familiers : une petite fille, des branches de conifères, un paysage enneigé... La hotte souvent associée à Saint Nicolas n'est pas facile à reconnaître. Ce personnage accoutré comme un moine trappiste s'en sert-il pour transporter des cadeaux? C'est loin d'être clair et on hésitera même à reconnaître une boule de Noël dans cet objet rond et brillant suspendu à un montant... Quoi qu'il en soit, on peut voir dans le sort même de cette carte éditée à Paris et utilisée au Manitoba en 1908 un symbole de la mondialisation déjà en marche à l'époque !

La dernière carte de Noël de cet assortiment est plus anodine. (Seule particularité : l'emploi d'une couche additionnelle de colle pour fixer une couche de petits grains translucides censés représenter une couche de neige, peut-être.) Cette fois, c'est une simple route de campagne qui est représentée. Une jeune fille s'y promène avec un chien. Néanmoins, des éléments cruciaux s'y retrouvent. La grisaille d'un paysage morne et désolé, aperçu d'une campagne sans vie, est rehaussée par quelques notes de couleur. Il y a le vert d'un buisson vivace et il y a le rouge du grand châle de la jeune fille. Des taches rouge et blanche parsèment le buisson, suggérant la présence de fleurs traditionnellement associées à Noël. Le jeune personnage se tient dans l'embrasure d'une porte, sur le seuil d'un nouveau territoire à découvrir. Si elle reste entre les ornières qui lui tracent son chemin, elle ne se perdra pas... Le petit poème joint à l'illustration ne se mêle pas de messages religieux. Il est beaucoup plus question de réjouissances et de bons vœux, à Noël comme au jour de l'An. De ce point de vue, cette carte s'inscrit dans une longue lignée de produits et peut nous rappeler que la transformation de Noël en fête profane ne date pas d'hier. On pourrait certes en retrouver de nombreux équivalents aujourd'hui... À cela près qu'aucune carte actuelle ne ferait rimer « Day » et « gay », un terme qui n'est plus utilisé souvent pour parler de gaieté ou de plaisir.

Mais ce qui n'a pas changé, c'est la tradition de souhaiter ce qu'il y a de mieux aux gens qu'on aime à Noël. Joyeuses Fêtes !

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