2006-12-04

 

La nouvelle mathématique électorale canadienne

La presse québécoise, dont le nombrilisme frise parfois l'autisme, s'étonne que le Parti libéral du Canada ait élu un candidat qui aurait si peu de chances de l'emporter au Québec. Elle fait mine d'ignorer que le vote bloquiste a beaucoup réduit l'influence du Québec au sein des partis canadiens. Maintenant, la province ne pèse guère plus lourd que les provinces des Plaines, Manitoba et Saskatchewan.

C'est-à-dire que le Québec ne compte plus que 10 ou 15% des sièges potentiels pour un parti fédéraliste. Quand le Québec comptait un tiers des sièges envisageables pour le Parti libéral, on ne pouvait pas ignorer ses choix. Maintenant, au grand dam des ténors québécois du Parti libéral, on peut sacrifier le Québec si les gains ailleurs sont plus grands.

Le calcul est simple. Depuis 1993, le Bloc québécois remporte au moins une quarantaine de sièges. Cela réduit le nombre de sièges à 25-35. Dans le reste du Canada, il y a 226 circonscriptions à gagner. Si les Libéraux font une croix sur les 28 sièges de l'Alberta, cela donne un ensemble de 225 comtés environ où ils ont une chance a priori. Dans les faits, les comtés ruraux sont plus difficiles à remporter, mais il existe une culture libérale de longue date même dans les campagnes, du moins à l'est de la Saskatchewan.

Avec une récolte possible de 35 sièges au Québec, le Québec ne compte tout au plus que pour 15% du Canada en jeu pour les Libéraux. Sur ces 35 sièges, certains voteront sans hésiter pour les Libéraux de Stéphane Dion. L'aile nationaliste québécoise des Libéraux a donc une influence extrêmement restreinte.

Et cette influence est d'autant plus restreinte que cette faction prône une stratégie à la Mulroney qui ne convainc pas le reste du Canada. Un jour, il faudrait que le Québec admette qu'il s'est tiré dans le pied en votant « non » à l'Accord de Charlottetown. En 1992, des provinces représentant plus de la moitié de la population hors-Québec avaient voté pour, mais le Québec a voté contre.

Et pourtant... L'Accord de Charlottetown, c'était déjà beaucoup, mais ce n'était pas assez pour le Québec. Du coup, on ne sait plus où se trouve le seuil acceptable pour les Québécois. Et, du coup, aucun politicien canadien ne proposera sérieusement des accommodements avec le Québec sans être assuré au préalable de l'appui d'une majorité au Québec. Parce que s'exposer à un refus, ce serait non seulement perdre la face et risquer de connaître le sort de Mulroney, ce serait aussi fournir aux nationalistes québécois le prétexte d'une nouvelle humiliation parce qu'on ne leur aurait pas proposé assez...

Or, il y a un vote de blocage (pas seulement bloquiste) qui permet de douter de la possibilité d'une telle majorité. Ce parti de la dénégation refuse toute entente globale, ce qui est assez logique puisque ce serait un renoncement à la possibilité de nouvelles revendications.

Si, en 1992, le Québec avait voté oui et le reste du Canada non, il aurait été possible de reprendre les négociations. Mais comme, depuis la Charte de Victoria jusqu'à aujourd'hui, le Québec n'a entériné qu'une seule entente constitutionnelle, celle du lac Meech, qui a vite été critiquée comme insuffisante au Québec, il n'est pas question pour le reste du Canada de reprendre les négociations avec le Québec avant de savoir s'il sera un interlocuteur de bonne foi. Ce n'est d'ailleurs pas tant la bonne foi des gouvernements québécois successifs qui est en cause que le réalisme d'une société québécoise (ou de son intelligentsia) incapable de choisir entre des gains concrets et l'idéal.

Et quand je dis incapable de choisir, c'est exactement ça, puisque les Québécois n'ont voté ni pour les gains de Charlottetown en 1992 ni pour l'idéal de l'indépendance en 1995. Peut-être Ferland a-t-il raison... Mais tant que les Québécois seront incapables de dire oui à quelque chose, ils ne pourront pas s'attendre à ce qu'on leur fasse des offres. Pour conclure une affaire, il faut que les deux parties acceptent de s'engager.

Bref, les ténors libéraux au Québec ont beau déchirer leur chemise, ils ne peuvent tout simplement pas prouver qu'une approche plus conciliante rapporterait des dividendes électoraux au Québec. Dès lors, on peut faire des concessions sur le plan symbolique, comme Harper, mais seuls les inconscients iront plus loin.

Et Dion n'en est pas un.

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