2006-10-02

 

Les routes du Québec

Je sens que je vais être prévisible, mais il faut parfois regarder les choses en face.

Il est bien possible que l'effondrement d'un pan de viaduc à Laval soit un accident exceptionnel, sans cause connue ou compréhensible. En général, cependant, les esprits rationnels acceptent que les miracles n'existent pas et que les événements ont des causes qui peuvent être subtiles, obscures ou complexes, mais qui n'en existent pas moins.

Il est possible, voire relativement probable, que cet effondrement soit dû à des causes sui generis (la proximité d'une carrière procédant à de nombreux dynamitages, l'emplacement des feux de circulation, l'accroissement de la circulation en trente ans). Par conséquent, il serait inutile de généraliser. Après tout, même si c'est la seconde fois à Laval en quelques années, il n'y a pas de point commun évident entre les deux incidents (hormis le fait qu'on ait affaire à l'œuvre d'ingénieurs québécois). L'accident précédent s'est déroulé durant la construction d'un viaduc neuf; celui-ci implique une structure vieillissante.

Néanmoins, il est permis de se poser des questions sur la durabilité des infrastructures, et en particulier sur celle des infrastructures québécoises.

J'espère d'ailleurs qu'on n'osera pas affirmer, à la George Bush (après Katrina), qu'on ne savait pas. Il y a déjà dix-huit ans, je signais une nouvelle de science-fiction dans le fanzine Samizdat (« Monde retapé : À vendre ») qui apparaît comme de plus en plus prémonitoire. Non seulement elle anticipait sur la désaffection des minorités immigrées en France, mais elle prévoyait l'effondrement du stationnement de l'aéroport de Mirabel (devenu un cosmoport) en raison de l'usure du béton armé. Le problème de la corrosion des armatures du béton armé dans le contexte canadien (froid, humidité, usage du sel sur les routes) était déjà connu et envisagé il y a vingt ans.

Petite citation (p. 43) : « Il imagina l'enchevêtrement de poutrelles tordues, les gravats, les pans brisés de béton et les plaintes s'élevant des décombres. »

Un peu plus loin : « Ils lui dirent que l'armature du garage, affaiblie par des années de corrosion par le sel, n'avait pu résister à un troisième décollage de fusée. »

Si l'effondrement du viaduc me frappe, aussi, c'est qu'en août, je me souviens d'avoir eu l'occasion de regarder de près les viaducs à l'intersection de la 15, de la 20 et de l'Autoroute Ville-Marie et d'avoir été atterré par le piètre état du béton. Des pans entiers du revêtement étaient tombés et des traînées de rouille tachaient le béton. Comme il s'agit de structures massives, je doute qu'elles soient promises à un effondrement prochain, mais il était clair qu'elles accusaient leur âge... En fait, c'est assez déprimant de penser que cet échangeur Turcot est à peine plus vieux que moi, car il date de 1966-1967 — et il est d'ailleurs question de le réhabiliter.

Mais je crois effectivement qu'on doit se poser des questions sur la qualité des infrastructures québécoises, même au prix d'admettre, par exemple, que la génération d'ingénieurs de la Révolution tranquille n'a pas été à la hauteur, peut-être parce qu'ils étaient encore novices en la matière. Ou pour toute autre raison que l'on voudra invoquer.

Je ne suis pas ingénieur routier, mais lorsque la comparaison tourne systématiquement au désavantage des routes du Québec, il est permis de douter. C'est souvent un sujet de plaisanterie que de passer d'une route québécoise à une autoroute étatsunienne ou une route ontarienne. Les yeux fermés, on sait qu'on a quitté la province parce que les cahots ont cessé...

J'exagère, bien sûr, et il peut certes exister des raisons circonstancielles (le vieillissement des routes se fait à des rythmes différents selon leur âge, par exemple) qui expliqueraient la différence entre les routes du Québec et les autres. Mais quand je compare les routes du Québec à celles de l'Ontario, des États-Unis et de la France, je me pose des questions.

Le climat ne peut servir d'alibi. Il ne change pas en quelques kilomètres, entre le Québec et l'Ontario, ou le Québec et le Vermont. Même en France, j'ai roulé sur des routes alpines qui subissent le gel et le dégel chaque année, et qui ne s'en portent pas plus mal. Alors, comment se fait-il que les routes québécoises (et ontariennes aussi, dans une certaine mesure) soient uniquement sujettes à des déformations?

On sait certes que les autoroutes étatsuniennes ont été construites à une échelle pharaonique, soi-disant justifiée par des objectifs de défense civile. Les remblais ont pu être massifs, les couches d'asphalte jusqu'à deux fois plus épaisses qu'au Québec et l'entretien continu — avant même les efforts de renouvellement de ces dernières années. Le pays le plus riche du monde (et sans doute le plus entiché de ses automobiles) a sûrement dépensé plus que l'État québécois.

Mais la France n'était pas nécessairement beaucoup plus riche que le Québec au moment de construire ses autoroutes alpines. Il est vrai que celles-ci représentent une fraction du réseau autoroutier d'un État dix fois plus populeux, mais si c'est une question de coût, il faut se demander alors si le choix de rogner sur les coûts au départ est validé par les résultats à l'arrivée...

Bref, la crispation défensive de Transports Québec n'est pas la bienvenue. S'il y a de meilleures options techniques, qu'on l'admette et qu'on nous en cite le prix pour qu'on fasse le débat. Et si c'est trop cher de les appliquer à l'échelle du territoire, sachons prioriser. Dimanche, il y avait un débat à la radio sur ces pauvres régions du Québec qu'on néglige, en particulier celle du Saguenay. Or, la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean représente moins de 300 000 personnes. La seule population de Laval (sans compter les personnes qui doivent passer par Laval pour aller travailler) en compte 50% de plus. Dans le cadre québécois où le budget routier dépasse à peine le milliard par année, les centaines de millions qui seraient affectés à l'élargissement de la route 175 pour une région déjà desservie par trois routes et représentant moins de 7% de la province mériteraient réflexion, qui sait...

Libellés : , , ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?