2006-10-03

 

Iconographie de la SFCF (11)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; et (10) les couvertures de la micro-édition.

Les couvertures des publications périodiques représentent sans aucun doute la source la plus abondante d'images de SFCF. Je pourrais prolonger cette série presque indéfiniment en étudiant l'iconographie de chaque revue ou fanzine, en subdivisant les publications les plus durables... Mais commençant par une coupe transversale, complètement aléatoire. J'ai commencé par piger un numéro de Samizdat en songeant à prendre le dernier, mais la couverture n'était que moyennement attirante. Alors, je me suis rabattu sur l'avant-dernier numéro, le 24, et j'ai eu l'idée de comparer la couverture de plusieurs numéros 24. À tout seigneur, tout honneur, commençons par Requiem, qui publiait son numéro 24 en décembre 1978. La couverture est attribuée à François Mazzero et Charles Montpetit. Mazzero semble avoir fait depuis carrière en holographie — il est d'ailleurs cité sur le site de l'Atelier holographique de Paris, qui a réalisé un hologramme du triangle impossible de Penrose. La question que je me pose, c'est de savoir si la collaboration a été consciente. Mazzero sait-il qu'une de ses œuvres (présumément adaptée par Charles Montpetit) a illustré une couverture de Requiem? Pour ce qui est du sujet de la couverture, il est mystérieux à souhait. Des créatures extraterrestres (ou lovecraftiennes?) brandissent des lances ou hallebardes surmontées, dirait-on, d'un petit animal tenant du scorpion et du dragon miniature... C'est peut-être en rapport avec le Prix Dagon 1978, décerné à Élisabeth Vonarburg pour sa nouvelle « L'œil de la nuit », première brique de l'univers tyranaëlien... Bref, ce n'était déjà pas un numéro banal, et il incluait aussi un article d'Alexandre Zinoviev (mort le 10 mai dernier) sur « La soit-disant [sic] science-fiction ».

Continuons. En 1984, imagine... publiait son vingt-quatrième numéro. La rédaction était dirigée par Catherine Saouter Caya et la direction littéraire était assumée par Jean-Marc Gouanvic. La couverture est attribuée à Marius Allen, ce qui crée immédiatement un mystère autour de cette signature en bas à gauche. Louis Lafontaine? Ce nom n'apparaît pas au sommaire des illustrateurs. Ni Marius Allen (un ancien de la polyvalente des Abénaquis?) ni Louis Lafontaine (le même que le musicien contemporain?) n'ont continué à exercer professionnellement l'illustration — du moins, pas au point d'avoir une présence sur internet. Pourtant, je trouve que cette couverture avait de la gueule. Ce sourire de politicien fabriqué par et pour la télévision, hein! Évidemment, j'ai un petit faible pour ce numéro d'imagine..., qui est celui de ma première nouvelle publiée professionnellement, « Œuvre de paix ». C'était la première brique de ma principale histoire du futur, qui compte maintenant plusieurs romans pour adultes et pour jeunes, ainsi que de nombreux autres textes. On y trouvait aussi une nouvelle de Francine Pelletier, « La volière », et une entrevue avec Stéphane Nicot. Une nouvelle aussi de Guy Bouchard, qui n'est plus très présent. La nouvelle de Pelletier était sa quatrième et se passait sur le monde d'Arkadie, qui a également servi de cadre à certains de ses romans pour jeunes ultérieurs.

Il n'est pas dénué d'ironie que les numéros 24 des fanzines Samizdat et Temps Tôt soient parus le même mois, en mai 1993! En effet, Samizdat avait été lancé par Philippe Gauthier, Yves Meynard et Claude J. Pelletier... en 1986, tandis que Temps Tôt avait été fondé par Christian Martin en 1989. Ainsi, à force de régularité, Temps Tôt avait comblé un retard de trois ans. Mais il faut avouer que c'était aussi le signe de l'épuisement des animateurs de Samizdat, qui étaient à la veille de mettre un point final à l'aventure. La couverture de Samizdat 24 est pourtant fort jolie, à mon avis. La rédaction avait abandonné le lettrage cyrillique du titre des premières années et opté pour une certaine simplicité. L'illustration est d'Alexandre Racine et le personnage de l'enfant au cœur d'un tourbillon qu'il faut attribuer à un poltergeist, sans doute, nous regarde avec un mélange troublant d'innocence et de perspicacité. Comme une poupée impassible cache sa bouche, l'observateur ne peut pas se prononcer sur l'expression des grands yeux écarquillés. Effarement? Accusation? Je me demande bien ce qu'il est advenu de cet artiste. Ce numéro de mai 1993 offre deux fictions, soit « L'apparition d'une autre ville » de Julie Martel (qui publie dans la dernière livraison de Solaris) et « Procruste » de votre serviteur (idem). J'avais aussi signé un petit article d'observations et de réminiscences de mon voyage au Chili en 1992.

Enfin, c'est aussi en mai 1993 que sortait le numéro 24 de Temps Tôt, qui allait encore publier une vingtaine de numéros, d'ailleurs. La couverture est de l'infatigable Pierre Djada Lacroix, artiste, fanéditeur et personnage incontournable de la SFCF à ses débuts. S'il y a un rapprochement à faire entre certaines de ces couvertures, il se situe sans doute au niveau du désir affiché de signification des illustrations québécoises (j'exclus le dessin de Mazzero). Celle de Lacroix illustre — tente d'illustrer? — le slogan de Temps Tôt : « une brèche dans le temps ». L'horloge en forme de panneau d'arrêt québécois (un arrêt n'est-il pas une solution de continuité?) n'est peut-être pas entièrement solide. Deux des trois oiseaux dessinés par Lacroix se dirigent droit dans le... panneau. Ces volatiles savent-ils que cette horloge qui enferme le temps dans son cadran n'est qu'une illusion qu'il est possible de traverser? Au premier plan, un personnage mystérieux nous fixe de ses verres fumés qui lui aveuglent le regard. Il se dresse face au vent qui emporte sa cravate et l'ombre projetée de quelque chose assombrit le haut de son habillement. S'agit-il d'une représentation de l'artiste, qui écrivait dans le numéro précédent de Temps Tôt que le fandom était mort au Québec et qui pouvait avoir l'impression de se retrouver isolé comme jamais, le dos au temps qui s'envolait? Dans ce numéro 24, Claude Bolduc répondait en trouvant « qu'il y a quand même une certaine activité, c'est un milieu qui vit, je n'ai pas l'impression de danser sur un cadavre. » De fait, Boréal allait renaître de ses cendres deux ans plus tard et les éditions Alire allaient surgir dans le décor trois ans plus tard.

L'autre point commun de ces couvertures, c'est sans doute que celles qui sont québécoises ne se rattachent pas ouvertement à la science-fiction (elles relèvent du fantastique ou du surréalisme), l'exception étant bien entendu la couverture (quand même ambiguë) de l'artiste français Mazzero. Du coup, il n'était pas inutile pour imagine... et Samizdat de préciser en toutes lettres qu'il s'agissait de revues de science-fiction! Mais je ne reviendrai pas aujourd'hui sur l'existence difficultueuse de la science-fiction dans le contexte québécois...

Comments:
Pour compléter ton commentaire, signalons que je suis le concepteur du titre plus simple -- j'aurais dit plus "lisible" -- de _Samizdat_.

Joël Champetier
 
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