2006-09-09

 

Un tropisme québécois

Tandis que j'entends Michel Vastel déblatérer à la radio contre les Juifs, trop prompts à se plaindre quand une école juive se fait redécorer par un cocktail Molotov puisqu'il pourrait s'agir du geste d'un élève insatisfait, je m'interroge une fois de plus sur l'histoire québécoise du vingtième siècle. Comme Vastel l'a dit lui-même, c'est le nom de Lionel Groulx qui surgit forcément, non pas tant pour ce qu'il a dit ou fait, mais pour ce qu'il symbolise.

Il ne s'agit pas de faire de Groulx un thuriféraire du nazisme, ou des francophones du Québec des sympathisants de Hitler. Il y a eu des hitléristes francophones au Québec, mais en très petit nombre (Adrien Arcand, Joseph Ménard, Dostaler O'Leary). C'est en faisant l'amalgame entre fascisme et hitlérisme, puis en démontrant que presque personne n'était hitlériste, qu'on disculpe un peu trop vite le nationalisme canadien-français d'avoir eu des élans fascisants. En fait, le fascisme européen des Mussolini, Franco et Salazar a rencontré un accueil beaucoup moins réticent au Québec en raison de son anticommunisme et de son conservatisme d'allégeance catholique. Le culte fasciste de l'homme fort à la tête de l'État rejoignait la critique de la classe politique par les intellectuels qui, comme partout ailleurs, affectaient volontiers de mépriser la politique en démocratie. Même sa doctrine économique corporatiste correspondait à des réflexions entamées au Québec par le mouvement de l'École sociale populaire.

Ce qui brouille cette distinction qu'il est possible de faire entre adhésion aux idées du fascisme et adhésion à celles du national-socialisme, c'est l'antisémitisme véhiculé par certains au Canada à cette époque, qui trouvait un écho dans quelques milieux de la classe moyenne dans le contexte de la Crise qui exacerbait les ressentiments à l'encontre de concurrents qui opéraient des commerces achalandés dans les quartiers populaires et qui prenaient aussi des places dans les institutions d'enseignement francophones — si ce n'est que parce que les institutions universitaires anglophones excluaient parfois d'emblée les Juifs. En Europe, cet antisémitisme était nettement identifié au nazisme, mais pas entièrement — le vieux fonds français antidreyfusard rejetant le métèque, le Juif apatride, le banquier sans cœur, alimente aussi les opinions d'une certaine élite au Canada. L'existence de cet antisémitisme est confirmée par le revirement même d'André Laurendeau en 1937, de retour d'Europe, quand il encourage ses anciens amis à y renoncer. Ou par la condamnation du bout des lèvres qu'en signe Lionel Groulx.

Il ne s'agit pas non plus d'affirmer une influence de ce mouvement fascisant sur la politique contemporaine. Comme à toutes les époques, sans doute, la majorité de la population avait d'autres soucis que les options politiques de la classe qui bavarde. La recherche a montré que les principaux organes d'opinion au Québec sont essentiellement libéraux, au sens classique du terme, et partisans d'une politique de bonne entente, ce qui semble refléter l'humeur de la majorité. Seule l'imposition de la conscription durant la Seconde Guerre mondiale a pu ouvrir un boulevard pour les tenants des idéologies du ressentiment. Dans un autre contexte, le combat contre la conscription aurait pu être porté par des libéraux. Le refus de se faire ordonner d'aller risquer sa vie est suffisamment viscéral pour être défendu au nom de plus d'une idéologie...

L'enjeu de ce débat récurrent m'a toujours semblé concerner le jugement du nationalisme de cette époque qui, encore aujourd'hui, est fièrement revendiqué comme précurseur de l'affirmation francophone au Québec et de l'indépendantisme. Or, Dostaler O'Leary a signé des passages inquiétants dans son livre intitulé Le Séparatisme, doctrine constructive, encore cité à l'occasion comme fondateur. Et des institutions comme Le Devoir demeure centrales pour le nationalisme québécois. Néanmoins, le Québec se trouve si loin de l'Europe et des conséquences concrètes des idées fascistes qu'on a vite passé l'éponge. La question est la suivante, en ce qui me concerne : un mouvement idéologique qui a fait de son fonds de commerce l'oppression plus ou moins réelle d'une nationalité (on disait « race » avant la Seconde Guerre mondiale...) n'a-t-il pas l'obligation de faire son aggiornamento, ou au moins son autocritique, s'il ne veut pas être taxé d'hypocrisie pour avoir cautionné autrefois une oppression autrement plus réelle? C'est la construction de l'identité des nationalistes québécois qui est froissée par ce genre de question. Le débat n'a une portée plus grande que si on fait l'amalgame entre cette option idéologique et l'ensemble du Québec, population et État compris...

Mais la compréhension de la culture québécoise qu'on retire de cette histoire peut éclairer le Québec actuel. Antisémite? Vastel était sans doute si remonté parce qu'il s'était confortablement indigné des propos de Barbara Kay dans le National Post au sujet de l'antisémitisme québécois. Et voilà qu'un vandale quelconque avait le culot de le faire passer pour un fumiste en incendiant une école juive — la deuxième en deux ans. (Cela fait du Québec une annexe de la France, où cela se pratique depuis six ans ou plus, et peut-être pour les mêmes raisons.)

De fait, devant le Collège Notre-Dame, je trouvais l'autre jour un graffiti sur le trottoir qui donnait en grandes lettres noires l'adresse de ce lien, qui est celui d'un site négationniste faisant des attentats du 11 septembre une conspiration — et pas par Oussama Ben Laden. Le succès de la thèse (du délire) de Thierry Meyssan est d'autant plus ironique qu'Al-Quaida est loin de nier sa participation aux attentats du 11 septembre.

La vogue de la thèse conspirationniste chez certains Québécois nous en dit sans doute plus long sur leur anti-américanisme primaire que sur leur capacité d'analyse. Ce qui m'embête, c'est ce curieux tropisme qui porte une partie de la société québécoise à toujours se retrouver du même côté que les ennemis déclarés de la démocratie et des libertés fondamentales. (Certes, quand c'est systématique, on aura parfois raison — guerre des Boers, Irak — tout comme une horloge en panne donne la bonne heure deux fois par jour...) Il y avait moyen de s'opposer à la guerre menée par Israël au Liban sans pour autant endosser le Hezbollah, qui est, dans le meilleur des cas, une faction politique factieuse, dotée de sa propre milice armée et dont le chef (non-élu?)pousse le refus du jeu politique jusqu'au refus de siéger dans le parlement libanais. Sans parler de ses options politiques domestiques (l'islamisme) et internationales (la fin d'Israël). Et il y a moyen de critiquer la conduite des États-Unis de Bush sans faire l'impasse sur la nature profondément illibérale de l'adversaire.

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