2006-08-28

 

Aux sources de Miyazaki

Avant d'atterrir en France, je n'avais pas du tout prévu de profiter de mon séjour pour voir Nausicaä de la vallée du vent de Miyazaki Hayao. Mais comme le film sortait le 23 août, il aurait été bête de se priver d'une telle réalisation. Sans tarder, j'ai fait le saut jusqu'au Cinéma Le Balzac, qui offre trois salles consacrées aux films moins courus. Il n'en reste presque plus de cette espèce à Montréal, malheureusement.

J'ai donc vu la nouvelle version sous-titrée de ce film sorti en 1984, d'après un manga de 1982. Ni la netteté ni la richesse des dessins ne sont encore à la hauteur de l'art de Mononoke Hime ou de Sen to Chihiro no kamikakushi. Le mouvement est minimal dans certains cadrages où seul le personnage qui parle bouge (et encore!). Parfois, on croit déceler certaines influences dans le dessin — un peu du graphisme de La Planète sauvage de Laloux? du Moebius? En tout cas, comme je l'ai soupçonné en voyant le film, les Omus sont en partie inspirés par les vers géants de Dune, de l'aveu même de Miyazaki. (Leur carapace segmentée est assez caractéristique...)

Il y a aussi des accrocs mineurs. Au début du film, je n'ai pas compris comment Nausicaä avait fait pour emporter la cornée de la mue d'Omu qu'elle remet à Yupa. Plus tard, Nausicaä respire un air censément pollué, mais elle ne semble pas s'en porter plus mal. À la fin du film, sa robe change trois fois de couleur en quelques moments. Il faut l'imputer à l'effet du sang bleu du jeune Omu qu'elle essaie de sauver, mais le dessin un peu trop sommaire ne nous montre pas les taches de sang en train de colorer tout le vêtement... On ne voit vraiment que les changements de teintes.

J'ai parlé précédemment d'une recette, ou peut-être d'une formule, dans le cas des films de Miyazaki. Ce n'est pas exact. Il faudrait plutôt parler d'éléments récurrents au service de thématiques semblables. Avec Nausicaä, on remonte presque aux sources de l'œuvre cinématographique de Miyazaki et de nombreux éléments du film se retrouveront dans les suivants. Les Omus insectoïdes rappellent néanmoins par leur forme les sangliers géants de Princesse Mononoké. Les nombreux engins et combats aériens seront présents de nouveau dans Laputa, Porco Rosso et Kiki. De par son rôle, le Soldat Géant (ou guerrier divin, selon la traduction anglophone) évoque le robot destructeur de Laputa, mais son dessin l'apparente aussi au monstre né de la décapitation du dieu de la forêt dans Princesse Mononoké. Quant au respect de la nature et au désir de vivre en harmonie avec elle, ils vont de soi...

Un des débats mineurs suscités par le film se passe entièrement en-dessous de la ceinture : Nausicaä porte-t-elle ou non des pantalons dans plusieurs scènes du film? Moi, j'ai eu l'impression que non, mais de nombreux sites affirment qu'il s'agit de pantalons d'une teinte proche de la couleur de la peau — et que certaines versions du film estompent la différence de teintes, faisant croire que Nausicaä a les jambes nues. Comme les pans de son manteau bleu ne cachent pas grand-chose de ses fesses, il y aurait de quoi scandaliser les censeurs... mais je veux bien croire qu'elle porte des pantalons. Toutefois, ils sont alors extrêmement moulants et révélateurs, et le cas de Kiki laisse soupçonner qu'à tout le moins, Miyazaki a joué sciemment sur l'ambiguïté. (Dans Kiki, la petite sorcière ou Majo no takkyûbin, le spectateur se fait montrer plusieurs fois les petites culottes de la jeune héroïne.) D'aucuns soupçonnent autre chose... Ce que j'ai cru relever, c'est que le dessin de Miyazaki se faisait plus affriolant dans la première moitié du film, qui est plus lente, que dans la seconde, plus dominée par l'action. Se pourrait-il que Miyazaki ait choisi ce moyen de retenir l'attention de certains spectateurs jusqu'à ce que les événements se précipitent?

Quoi qu'il en soit, c'est un film incontournable pour les amateurs de Miyazaki. Comme il s'agit de l'adaptation d'un manga en sept volumes, l'action est très riche et forcément ramassée. Les personnages sont nombreux, souvent ambivalents, et de multiples forces en présence s'affrontent sans que l'on puisse véritablement identifier de partis dont le combat serait le bon, sauf celui des villageois de la vallée du vent qui ne luttent que pour leur survie. Ces villageois sont présentés comme des forestiers, qui entretiennent amoureusement une forêt qui leur permet de résister à la gangrène de la pollution toxique qui ronge le monde depuis avant l'effrondrement des anciennes civilisations technologiques.

Cet aspect du film rappelle les pratiques spécifiquement japonaises de gestion des forêts que Jared Diamond vantait dans Collapse, ce livre qui offre une analyse très nuancée des menaces pesant sur la survie des sociétés humaines et dont j'ai déjà parlé. Cette gestion sylvicole qui commence à attirer l'attention reste loin d'être adoptée partout, mais c'est ce qui fait de ce film de science-fiction plus qu'une simple aventure exotique et plus qu'une simple dénonciation écologiste de l'exploitation insensée des ressources ou de la pollution.

De manière assez intéressante, Nausicaä est un des rares films de science-fiction de Miyazaki, avec Le château dans le ciel, encore que ce dernier commence déjà à verser dans le merveilleux. Par la suite, Miyazaki a privilégié le fantastique pour aborder les mêmes thèmes qui se résument, quelque part, à ce qu'il faut faire pour préserver l'avenir de l'humanité. En tant qu'auteur de science-fiction mais aussi comme humain concerné par notre avenir collectif, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y a une certaine contradiction à miser sur le merveilleux pour faire passer une leçon qui se doit d'être enracinée dans le réel.

Les allégories fantastiques sont-elles vraiment plus efficaces que les allégories rationnelles de la science-fiction? Le futur le dira.

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Comments:
Merci pour cette intéressante critique de Manga.

Je ne savais pas que vous étiez de passage en France.

Y êtes-vous encore ? Y-a-t-il encore une possibilité de vous y rencontrer ?

Amicalement.

Stéphane Curet
 
Je suis encore sur Paris, mais je
repars vendredi. J'ai des cours à
préparer au Canada...
 
Merci de m'avoir répondu rapidement.
Malheureusement, j'habite à Angers maintenant et je n'aurai pas le temps de m'organiser pour venir d'ici vendredi.
En tout cas, je suis content d'avoir de vos nouvelles via votre blog !

Amicalement.
 
Mon séjour en France aura été trop bref, mais il ne s'agissait pas vraiment de vacances, en fait...

Ce sera pour une prochaine fois.
 
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