2006-05-23

 

Du tragique au ridicule

Chaque jour, l'actualité diffusée par les médias d'information nous jette en pâture un peu de tout. Si la télévision privée de langue anglaise se distingue souvent par son insignifiance en Amérique du Nord, les médias écrits n'échappent pas à la dure loi de l'imprévu, qui fait que le tragique peut voisiner avec le ridicule dans les mêmes pages d'un journal.

Aujourd'hui, le Globe and Mail rapportait le bombardement du village d'Azizi près de Kandahar dans le sud de l'Afghanistan. Ce bombardement aurait fait un certain nombre de victimes civiles. Une vingtaine peut-être. Une vingtaine au moins? Même s'il serait exagéré de parler d'un nouveau Guernica, c'est déjà trop, et il y a tout lieu de se poser la question des moyens employés. Fallait-il à tout prix détruire le village pour le sauver?

Il y a deux mois, j'exprimais mes réserves quant aux choix tactiques de la coalition en Afghanistan, et je n'ai pas grand-chose à ajouter. Dans le contexte de la guerrilla, la destruction de l'ennemi doit-elle être subordonnée à toutes les autres considérations? Ce n'est pas si sûr. Mais si l'ennemi ne mène pas une guérilla classique, basée sur la frappe ponctuelle et la fuite, mais recherche au contraire l'affrontement, jusqu'à la mort et jusqu'au martyre, ce n'est pas si sûr non plus qu'il existe de meilleures solutions. À moins qu'il soit exact (mais peut-on s'y fier?) que les Talibans recrutent de plus en plus à l'extérieur de l'Afghanistan, de sorte que l'on pourrait parier sur l'intelligence des Afghans eux-mêmes, qui finiront peut-être par se dire que des deux maux, il faut choisir le moindre.

Le même numéro du Globe and Mail nous permet aussi d'apprécier le ridicule puisque plusieurs articles sont consacrés au déséquilibre fiscal, en particulier celui de Heather Scoffield. Dans un contexte où d'aucuns ont affirmé que trente milliards de surplus prévus pour le fédéral vers 2025 plus soixante milliards de déficits prévus pour les provinces et les territoires, cela représente une somme de quatre-vingt-dix milliards, cela fait longtemps que la convoitise aveugle a remplacé la réflexion. Cet écart prévu signifie plutôt que d'ici vingt ans, il manquera une trentaine de milliards pour équilibrer les comptes nets. Le seul vrai déséquilibre sera celui qui opposera les besoins et les rentrées d'argent.

L'article du Globe and Mail avait le mérite de débroussailler la question, en rappelant que le fédéral et les provinces ont accès aux mêmes sources de financement, sans autre restriction que les contraintes politiques et concurrentielles. L'ensemble des provinces accumule aussi des surplus et la dette fédérale reste plus élevée que l'ensemble des dettes provinciales. Ce qui permet d'ailleurs de souligner que les commentateurs québécois ont tendance à comparer les surplus fédéraux et les difficultés financières du seul Québec, comme si le fédéral était libre d'affecter tous ses surplus à la solution les problèmes québécois. Évidemment, il convient de comparer le fédéral et l'ensemble des provinces, ce qui entraîne mécaniquement une réduction du pactole fédéral envisagé...

Ce que je retiens surtout de cet article, c'est un diagramme illustrant l'évolution prévue des coûts de la santé et des coûts de l'éducation jusqu'en 2024-2025. Alors que les dépenses en éducation ne croîtront que modérément, les dépenses en santé s'envolent. (Des chiffres semblables ont été calculés en 2004 par le Conference Board dans un rapport pour les premiers ministres provinciaux, leurs extrapolations ne dépassant pas l'horizon 2020, puis 2015 dans les deux versions successives.) C'est cette envolée inexorable des coûts de la santé qui permet aux provinces de prévoir qu'elles retomberont dans les déficits d'ici quelques années, et qu'elles doivent donc prévoir le coup.

Bien entendu, cette augmentation prévisible des coûts de la santé est dû en grande partie au vieillissement de la population. Selon le Conférence Board, plus de la moitié des soins de santé consacrés à un particulier sont dispensés après son soixante-cinquième anniversaire. Par conséquent, au fur et à mesure que les baby-boomers dépasseront cet âge, les coûts de la santé augmenteront. Et ils ne cesseront pas de monter de sitôt. Le Conference Board note qu'en 2014-2015, la majorité des baby-boomers n'auront pas encore 65 ans. Le vieillissement continuera à faire son effet pendant des années.

Quelle est la taille de cet effet? Le Conference Board s'aventure à le chiffrer. Sur une augmentation annuelle de 5.3% des budgets de la santé entre 2001 et 2020, il faut soustraire une part de 2.7 points de pourcentage attribuable à l'inflation prévue et une autre de 0.9 qui reflète l'augmentation de la population canadienne. Cette partie de l'augmentation peut être négligée puisque la croissance de l'économie et du nombre de contribuables la compensera. Mais il reste 0.9 points de pourcentage pour la hausse prévue de la consommation individuelle de soins (parce que l'équipement et les médicaments coûteront plus cher, ou parce qu'on découvrira de nouveaux traitements) et 0.8 pour le vieillissement de la population. Autrement dit, le vieillissement de la population comptera pour près de la moitié de l'augmentation nette des coûts.

Ainsi, dans la mesure où le déséquilibre fiscal annoncé est en réalité un déséquilibre générationnel qui verra les baby-boomers réclamer toujours plus, les discours lénifiants sur le pactole fédéral ne sont qu'une autre manière de dorloter une génération chérie et de lui permettre d'éviter de penser à l'avenir de ses enfants.

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