2006-03-24

 

Ouverture et fermeture

Quelques échos de science-fiction en terre canadienne aujourd'hui...

Dans le nouveau numéro de la revue Liaison, qui prend le virage d'une vocation pancanadienne en s'intéressant désormais aux productions artistiques de toute la francophonie canadienne hors-Québec, on trouvera ma critique du roman Terre des Autres de Sylvie Bérard. Ce livre fait partie des œuvres en lice pour le Prix des Lecteurs Radio-Canada. Le prix sera décerné lors du Salon du livre de Sudbury, le samedi 6 mai.

Entre Ottawa et Montréal, j'ai terminé la lecture d'une anthologie réunie par Claude Lalumière, Open Space: New Canadian Fantastic Fiction (Red Deer Press, 2003). Ce sont 21 auteurs qui se retrouvent dans ces pages, entre une préface par Cory Doctorow et une postface par John Rose. La science-fiction est minoritaire, mais de peu, tandis que les textes de fantastique ne sont pas si éloignés de la science-fiction, parfois. Ce qu'on ne trouvera pas dans cette antho, cependant, ce sont des nouvelles de fantasy classique. Bref, pas de chevaliers, de nains, de trolls, d'épées magiques...

Ce qui frappe le plus, c'est la grande diversité des cultures et des contextes. Pratiquement toutes les régions du Canada sont représentées, ainsi que plusieurs cultures différentes. Dans certains cas, on peut avoir l'impression qu'il ne s'agit que d'un enrobage qui cache mal une simple variante d'un sujet quasiment éculé. Ailleurs, c'est le style qui semble s'efforcer de donner le change. Néanmoins, mieux vaut retenir les meilleurs textes, et il y en a d'excellents. La nouvelle qui conclut l'antho, « More Painful than the Dreams of Other Boys » de Derryl Murphy, par exemple, qui prend l'enfance et le vieillissement comme thèmes. Ou encore « The Traumatized Generation » de Murray Leeder sur une épidémie de zombification qui a transformé la société, et pas pour le mieux. Mais cette société reste mieux lotie que les réfugiés irlandais du dix-neuvième siècle dans « The Banshee of Cholera Bay » de Jes Sugrue ou les colons fondamentalistes sur une autre planète dans « March on the New Gomorrah » de Mark Anthony Brennan. Il y a heureusement des nouvelles plus réjouissantes, dont « Of Wings » de Shane Michael Arbuthnott ou « A Gift of Power » de Janet Marie Rogers. Et même « La Rivière Noire » de Leslie Brown. Sinon, je crois que « Appetite » de Nicholas Knight était censée être horrifique, mais elle chatouille plutôt mon sens de l'humour... noir, très noir.

Et, en guise de visionnement vespéral, j'ai vu à Montréal V for Vendetta des frères W. Film violent qui va loin dans la vaticination volontariste sur fond de virulences variées — vigiles vexatoires, vagues varioliques avec ou sans vaccin, vacance de la pensée versant dans le fascisme vidéo et la fausse vertu de vicaires vicieux... La vengeance des victimes fait vibrer, mais la victoire d'un vengeur sans visage sur des vantards et des vénaux a dans les veines et dans le ventre quelque chose de vénéneux... Ce verdict doit toutefois tenir compte d'une verve jamais verbeuse, de la virtuosité des Wachowski et de la vivification de la vérité par le film. La vie au vingt-et-unième siècle est encore trop vulnérable pour rejeter facilement une vision par trop vraisemblable de la vilenie de vendeurs de vitupérations...

En clair, donc, je ne peux pas juger de l'adaptation, n'ayant pas lu la BD originale d'Alan Moore — qui a exigé que son nom soit retiré du générique. (De sorte que celui-ci mentionne le nom du dessinateur de la BD mais sans dire qui l'écrivait. L'effet est curieux.) L'histoire conserve d'ailleurs les traces d'un enracinement dans le terreau des comics. Le personnage de V, qui porte un masque de Guy Fawkes, a quelques traits des superhéros classiques, dont un repaire inexpugnable et des pouvoirs physiques exceptionnels, qui sont le résultat d'expériences dont il a été la victime.

L'intrigue laisse aussi voir un découpage épisodique qui reflète sans doute la composition de (10)chapitres distincts pour la BD originale. L'époque de la composition (le début des années 80) explique aussi sans doute la timidité de l'extrapolation; dans la version originale, la dystopie britannique de Moore s'inspirait beaucoup du Big Brother d'Orwell et de l'expérience encore récente du fascisme en Europe. La version des Wachowski repousse l'époque du film vers les 2030 ou 2040, mais la technologie mise en scène reste proche de celle qui existe aujourd'hui. Il pourrait d'ailleurs s'agir d'une uchronie — on s'attend par exemple à ce que le personnage d'Evey, la jeune femme recueillie par V, soit repérée par les logiciels de reconnaissance des visage qui ont sûrement été perfectionnés et branchés sur les caméras de surveillance déjà omniprésentes à Londres aujourd'hui; or, ce n'est pas le cas, ce qui incite à croire qu'on se trouve vraiment dans un autre univers.

Au cœur de l'histoire, il y a l'affrontement de deux formes de violence. Celle de V est apparemment édulcorée dans le film, relativement à la BD, mais V reste suffisamment sanguinaire et vindicatif pour poser la question des moyens. La fin justifie-t-elle tous les moyens, même les plus meurtriers? La fin du film des Wachowski inclut des extraits de discours de Malcolm X, qui croyait à la violence justifiée par la violence de l'oppression. Mais la violence de la résistance justifie aussi la violence de l'oppresseur, enfermant tout le monde dans la logique de l'escalade.

Si l'anthologie de Lalumière ouvrait sur des horizons effectivement variés, le film des Wachowski tend à nous enfermer dans une alternative fermée, et fort peu utile.

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