2006-03-27

 

La Comtesse blanche

Dernier film des vieux complices Ismail Merchant et James Ivory, on croirait presque que The White Countess a été écrit pour être le chant du cygne de leur longue collaboration.

Dans les faits, il s'agissait d'un trio : Merchant était le producteur, Ivory le réalisateur et Ruth Prawer Jhabvala la scénariste. Ils s'inspiraient souvent (sinon toujours) de romans. Dans ce cas-ci, The White Countess était un roman de Junichiro Tanizaki (Diary of a Mad Old Man) qui se passait au Japon à l'origine, adapté — et refondu — par Kazuo Ishiguro, qui retrouve une période qu'il avait déjà explorée dans The Remains of the Day.

Du coup, l'action est déplacée à Shanghai avant la Seconde Guerre mondiale. Les protagonistes ne sont plus du tout japonais. D'une part, nous avons Todd Jackson, un ancien diplomate étatsunien qui a perdu sa famille et sa vue. D'autre part, nous avons la comtesse Sofia, une Russe blanche qui a encore une famille mais qui n'a plus de pays. Alors que la fille de Jackson est morte, Sofia a une fille bien vivante, Katya. Tandis que Jackson cherche une raison de vivre, Sofia se vend pour gagner l'argent qui permet aux siens de vivoter — et qui leur permet de la mépriser parce qu'elle déroge à tous les codes de l'aristocratie.

C'est un film plein de moments charmants et de rebondissements pas toujours convaincants. Même si les plus grands romanciers, comme Dickens, n'ont jamais eu peur d'user et d'abuser des coïncidences, elles sont d'un maniement difficiles dans le cadre d'un film de moins de deux heures... Les grands thèmes du film n'apparaissent vraiment que dans les scènes ultimes. La boîte de nuit si ardemment rêvée et désirée par Jackson était une construction aussi brillante et aussi éphémère que la Shanghai polyglotte et multinationale que les Japonais sont en train de détruire. Mais c'était aussi une famille de remplacement, et sa destruction pousse enfin Jackson, avec un coup de pouce de son ami et rival japonais, Matsuda, à chercher la comtesse Sofia pour lui déclarer les sentiments qu'il éprouve pour elle. D'une famille à l'autre.

Mais il est difficile de ne pas entendre dans le dernier face à face de Jackson et Matsuda un hommage rendu à la création de ces petits mondes fermés, îlots de beauté dans un monde chaotique qui les fait souvent oublier et les détruit parfois, que sont les œuvres d'art — et les films de Merchant et Ivory... L'esthétisme de Jackson et de Matsuda n'est pas entièrement crédible, mais le film a l'intelligence de ne pas leur faire parler d'art avant que leurs œuvres respectives soient réalisées. La réalité est un argument imparable.

Les principaux mérites du film, ce sont la beauté des images et les hésitations des personnages qui ont déjà trop donné d'eux-mêmes pour ne pas y songer à deux fois avant de se commettre. Mais j'ai aussi admiré la reconstruction du Shanghai de l'entre-deux-guerres, un exploit que l'on mesure mieux quand on a vu Code 46, un film futuriste en partie tourné à Shanghai et Pudong depuis la floraison d'édifices modernes, ultra-modernes et post-modernes...

Il restait si peu de l'ancien Shanghai que les cinéastes ont dû se contenter de cadrages très serrés, ce qui crée une atmosphère quelque peu claustrophobe, mais pas si étrangère aux autres films de la maison. Même sans avoir visité la nouvelle Shanghai, on peut deviner aussi l'étendue des changements en comparant The White Countess à Empire of the Sun de Spielberg, sorti en 1987. Spielberg avait été beaucoup moins chiche en grands angles. En principe, le Bund — le district le plus historique de Shanghai — n'a pas tellement changé, mais il est sans doute devenu beaucoup plus difficile pour un cinéaste d'accaparer une partie du quartier afin de faire revivre le passé. Il y a vingt ans, Spielberg avait pu obtenir l'autorité et les autorisations nécessaires, mais le boom économique de la Chine a sans doute rendu la chose impossiblement coûteuse aujourd'hui.

La conclusion du film est un happy end en quelque sorte. Pas au point de friser l'invraisemblance; Jackson et la comtesse ont tourné le dos à l'espoir de refaire leur vie dans des circonstances plus faciles, à Hong Kong ou ailleurs, mais ils sont ensemble. Tandis que Merchant et Ivory ne le sont plus.

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