2006-02-14

 

Le bluff parfait

Du temps de la guerre froide, c'était un lieu commun que d'opposer les Américains, amateurs de poker, aux Soviétiques, qui préféraient les échecs.

Les Iraniens sont en train de prouver que le poker doit être étonnamment populaire dans leur pays, car ils répondent aux menaces actuelles des États-Unis par un bluff à la hauteur du bluff que tente l'administration Bush.

Revenons d'abord en arrière. Début 2002, l'Irak est dans le collimateur de l'administrateur Bush qui aimerait un changement de régime, et qui ne dirait pas non si Saddam Hussein consentait à vider ses palais et à trouver asile ailleurs. Bush et ses acolytes soufflent le chaud et le froid. D'un jour à l'autre, ils se disent prêts à tout, y compris l'intervention militaire, puis ils se montrent plus conciliants.

À l'époque, je croyais au bluff pur et simple. Les États-Unis avaient fort peu de troupes à proximité de l'Irak et leurs arsenaux avaient été vidés (ou, du moins, sérieusement dégarnis) par la guerre en Afghanistan, qui n'avait pas exactement connu la conclusion voulue, puisque Ben Laden s'était évanoui dans la nature. Attaquer unilatéralement l'Afghanistan après le 11 septembre, c'était une chose. S'en prendre à l'Irak au mépris de la loi et de l'opinion internationales, c'en était une autre. D'ailleurs, selon les sondages, une majorité d'Étatsuniens se montreraient opposés à une guerre contre l'Irak jusqu'à la veille de l'entrée en guerre, après quoi ils se rallièrent au drapeau.

Fin 2002, la situation politique avait changé aux États-Unis. En sollicitant une résolution en faveur de la guerre avant les élections qui concernaient une partie du Congrès, Bush avait non seulement obtenu le soutien désiré mais fait de l'Irak un enjeu qui avait joué contre les Démocrates, donnant aux Républicains le contrôle presque complet des deux Chambres.

Fin 2002, la situation logistique avait aussi changé. Les usines avaient tourné et reconstitué les inventaires des arsenaux des États-Unis. Des troupes étatsuniennes et britanniques commençaient à s'installer au Koweit. Il fallait s'illusionner pour croire qu'une guerre n'était pas prévue, et ne serait pas extraordinairement difficile à éviter.

Et maintenant, que se passe-t-il dans le cas de l'Iran? Bush et ses acolytes soufflent le chaud et le froid. Ils accusent l'Iran de convoiter des armes de destruction massive et ils ont réussi à faire intervenir les Nations-Unies dans ce dossier. De nouvelles élections auront lieu en fin d'année et elles pourraient menacer l'emprise républicaine sur le congrès, ce que l'administration Bush a tout intérêt à éviter de peur que de nouvelles enquêtes mettent au jour de nouveaux scandales. (Quand on pense à la gravité de tout ce qui est déjà sorti, on se demande bien ce qui reste dont la révélation effraie tant l'administration Bush.)

Militairement, les États-Unis ne disposent pas des troupes requises pour organiser une invasion en règle de l'Iran, mais ils ont maintenant de grandes bases aériennes au cœur de l'Irak, sans parler des porte-avions dans le golfe. Les arsenaux de bombes intelligentes et de missiles de croisières sont regarnis. Mis à part les cibles relatives aux hypothétiques armes de destruction massive, l'Iran offre trois objectifs possibles pour une opération militaire soigneusement limitée : les infrastructures militaires, le détroit d'Ormuz et le Khouzistan. Qu'est-ce que le Khouzistan? C'est une province iranienne limitrophe de l'Irak qui dispose des principaux gisements de pétrole de l'Iran, à proximité du Golfe. John Pilger a d'ailleurs proposé que les États-Unis pourraient se satisfaire d'une opération qui leur donnerait le contrôle de ces gisements, tout en privant les Iraniens de tout moyen de menacer la navigation dans le Golfe, en particulier dans le détroit d'Ormuz...

Ce scénario trouverait un élément de justification dans l'annonce par l'Iran de son intention (bluff?) de créer une bourse internationale du pétrole qui opterait pour l'euro comme devise de référence. Ceci risquerait de porter un dur coup au dollar US alors que l'économie des États-Unis souffre de problèmes sérieux qui pourraient devenir aussi réellement graves qu'ils le sont déjà selon les pessimistes. Or, comme il n'est pas inutile de le rappeler dans ce contexte, Saddam Hussein avait lui aussi commencé à vendre du pétrole en euros (en 2000) avant de se faire chasser de ses palais par les GIs jusque dans un trou à rats... N'empêche que l'Iran dit : chiche!

Résumons. Les États-Unis ont les moyens militaires d'attaquer l'Iran (ou croient probablement les avoir dans la mesure où ils limitent leurs objectifs) et l'administration Bush a un mobile politique (rallier les électeurs autour du drapeau à temps pour les élections) ainsi qu'un mobile économique (sauver le soldat Greenback). L'enchaînement des événements rappelle étrangement celui qui avait mené à l'invasion de l'Irak. Question : une offensive étatsunienne est-elle vraiment impensable? En 2002, il était impensable que les États-Unis puissent s'en prendre unilatéralement à l'Irak avec le concours d'une coalition de bric et de broc. Maintenant, rien n'est impensable.

Internationalement, l'administration Bush peut croire qu'avec des gouvernements de droite en Allemagne, en Italie, en France et au Canada, sans parler de Tony Blair au Royaume-Uni, elle aurait un soutien plus affirmé qu'en 2003. À l'interne, l'impopularité de l'administration Bush est moins marquée dans tout ce qui concerne la sécurité nationale. Logiquement, cela reste le seul levier que l'administration Bush peut employer.

Néanmoins, c'est parce que c'est entièrement plausible que c'est un bluff parfait...

Libellés : , ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?