2006-02-23

 

La collection Merril

De passage aujourd'hui à Toronto, j'ai fait don à la collection Merril de deux romans (Les insurgés de Tianjin et Le maître des bourrasques) et de quelques pièces de ma collection dont je n'avais aucun besoin immédiat ou même envisageable. Des exemplaires de fanzines européens, des catalogues de maisons d'édition dans le domaine de la sf, des tirés à part d'extraits de romans à l'occasion de congrès, etc. Bref, il s'agit surtout de ces imprimés du quotidien qu'on appelle parfois des ephemera.

Qu'est-ce que la collection Merril? En plus des informations fournies par le site officiel, il n'est pas inutile de se pencher aussi sur la biographie de Judith Merril, pionnière de la voix des femmes et du féminisme dans la science-fiction nord-américaine. L'histoire de la collection est intimement liée à la guerre du Viêt-Nam dans sa phase étatsunienne dans la mesure où la répression des manifestants pour la paix durant la convention des Démocrates à Chicago (en 1968) convainquit un certain nombre de personnes d'abandonner les États-Unis — dont Judith Josephine Grossman, mieux connue sous son nom de plume de Judith Merril. Le Canada en accueillit plusieurs, en particulier Toronto.

C'est à cette époque qu'un jeune draft dodger du nom de William Gibson errait dans les rues de Toronto, en particulier dans le quartier de Yorkville (depuis devenu ultra-branché). On peut le voir dans un documentaire (très square) de la Canadian Broadcasting Corporation de l'époque, où il offre une introduction en 1967 à la communauté des hippies et conscrits étatsuniens en cavale... (Il y a une certaine ressemblance avec Karl Schroeder, non?)

C'est aussi à cette époque que Judith Merril s'était installée à Toronto après les incidents de Chicago. Elle avait apporté sa volumineuse collection d'ouvrages de SF et elle était rapidement devenue une des personnes-ressources d'une « université hippie » sise aux confins de Yorkville et au nord de l'Université de Toronto — Rochdale College, fondé en 1968. L'expérience d'une université auto-gérée avait tourné au vinaigre, l'édifice principal devenant en quelques années un refuge de consommateurs de drogues douces ou non, entre autres. Des témoins de cette époque m'ont parlé des toilettes qui se déclenchaient dans tout l'édifice dès que se pointait un uniforme sous les fenêtres... Mais ce fut aussi un foyer de la contre-culture à Toronto et une pépinière de talents et d'entreprises artistiques. (Quand j'étudiais à Toronto il y a une dizaine d'années, l'édifice était devenu un foyer de personnages âgées... Sans commentaire.)

La première fois que j'ai rencontré Judith Merril, dans les coulisses de l'amphi principal de l'édifice d'origine du Centre national de recherches à Ottawa, après une réunion de l'Ottawa Science Fiction Society vers 1987, elle fumait... des cigarettes. Mais elle ne dédaignait sans doute pas un petit joint. Un de mes profs au département d'astronomie de l'Université de Toronto, arrivé des États-Unis le 28 juin 1968 avec sa famille, avait trouvé un autre moyen d'échapper à la guerre du Viêt-Nam — les études. Il m'a parlé d'un concert (folk? avec Joan Baez?) sur les îles de Toronto durant lequel un joint circulait; en se retournant pour passer le pétard à la personne suivante, il avait reconnu Judith Merril. (Ou était-ce l'inverse? Judith Merril se retournant pour lui passer le joint?)

Le bref séjour des livres de Judith Merril à Rochdale College lui avait coûté un certain nombre d'ouvrages, prêtés et jamais rendus. Je crois bien que cela explique pourquoi elle avait négocié le don de sa collection dès 1970, qui a fondé la Spaced Out Library, devenue aujourd'hui la collection Merril...

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