2006-01-14

 

Soleil couchant au soleil levant

Première visite au cinéma Ex-Centris pour voir un film... Pourtant, cela faisait longtemps que je remarquais à l'occasion des films au programme susceptibles de m'intéresser. Mais le Paramount en plein centre-ville est plus commode d'accès par les transports en commun et il offre l'essentiel des grandes nouveautés hollywoodiennes. Les autres sont au nouveau complexe AMC de l'ancien Forum, à moins d'une demi-heure de l'appartement. Quant aux films indépendants ou étrangers, j'ai tendance à les rechercher d'abord au Cinéma du Parc, qui est légèrement plus proche de chez moi. Compte tenu de mon horaire surchargé, ces trois cinémas ont longtemps suffi à me fournir en films.

Mais je me doutais bien que je ne trouverais nulle part ailleurs Le Soleil d'Alexandre Sokourov. Je n'ai pas vu les deux films réalisés par lui auparavant dans la même série, soit Moloch consacré à Hitler et Taurus à Lénine, mais les comptes rendus de son nouveau film consacré à l'empereur Hirohito m'ont appâté.

La narration n'est pas menée tambour battant comme dans les films hollywoodiens. Sokourov privilégie un texte ponctué non d'explosions et d'effets spéciaux mais de petites surprises. Les premières séquences nous font assister au réveil de l'Empereur; ses appartements semblent curieusement exigus et dépourvus de pompe, mais on finit par deviner qu'il est réduit à une vie souterraine dans un abri. Quand il sort de son logement lambrissé, cossu sans être luxueux, il se retrouve dans des corridors bétonnés, nus et sales. La défaite japonaise n'a pas besoin d'autre illustration.

En apparence, nous assistons à une seule journée durant la première heure, l'horaire de l'Empereur ayant été annoncé durant les premières minutes. En apparence toujours, Hirohito s'y conforme, passant d'une réunion du cabinet à une séance de travail dans un laboratoire de biologie marine. Mais la situation militaire évoquée dans une conversation avec les serviteurs, puis par les ministres, ne peut être réconciliée avec la proximité dans le temps d'un bombardement de Tokyo et de l'arrivée au cœur de l'enclave impériale de militaires américains venus chercher l'Empereur pour l'amener auprès du général MacArthur. Mais s'il y a télescopage, il fonctionne et il permet à Sokourov de placer au centre du film la question de la divinité de Hirohito et de ce qu'il peut faire pour son peuple — ou pour lui-même. En renonçant à sa divinité tout en conservant le trône, Hirohito sert-il le Japon ou ses propres intérêts?

L'absurdité du respect cérémonial et de la croyance à une essence exceptionnelle, qui ont piégé l'Empereur dans un statut à part qui l'empêche de trouver des interlocuteurs qu'il n'intimide pas, est parfaitement illustrée par de petites touches, y compris par la déconvenue des journalistes étatsuniens qui découvrent que l'Empereur nippon est un homme ordinaire.

En revanche, le symbolisme de Sokourov est parfois un peu trop appuyé. Quand Hirohito émerge de son refuge pour la première fois du film, il surprend des soldats américains qui se disputent au sujet d'une grue apprivoisée du parc impérial et qui échangent des commentaires au sujet de son plumage blanc, si doux, à l'instar de l'existence confortable de l'Empereur sain et sauf dans son abri, loin de la ville détruite par les bombardements et de son peuple réduit à la misère. Un peu évident.

Mais l'économie de moyens de Sokourov impressionne. Tout est dans le jeu de l'acteur Issei Ogata, qui semble répéter muettement ses répliques avant de les prononcer. Comme le remarquent des G.I. en voix off, cela le fait aussi ressembler à un poisson — hors de son milieu naturel? Les autres acteurs japonais sont également efficaces, mais le personnage du général MacArthur ainsi que son interprète sont moins convaincants. Ces derniers jouent trop clairement les utilités pour se détacher de la même façon. Du coup, tout nous ramène à l'Empereur, le descendant d'une déesse solaire qui va accepter de se montrer à son peuple au moment où le soleil levant du Japon menace de se coucher...

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