2005-12-23

 

King Kong

Je ne suis pas sûr qu'on associe souvent King Kong à la science-fiction. Certes, il y a d'une part tous les éléments de la science-fiction de son époque, dans la veine du Lost World de Conan Doyle et du Pellucidar de Burroughs (sans parler de La Plutonie ou de La Terre de Sannikov par le Russe Vladimir Obroutchev): créatures préhistoriques, tribus perdues, monstre extraordinaire... D'autre part, Kong apparaît dans le film comme un être surnaturel. Il est sans famille et apparemment doté d'une longévité exceptionnelle (puisque les primitifs de l'île semblent lui vouer un culte de longue date). Par sa morphologie, il contredit la loi des proportions physiques (la masse augmentant en gros comme le cube de la taille, alors que les surfaces n'augmentent que comme le carré, tout ce qui dépend d'une adéquation de la masse et de la surface devrait normalement être repensé...). Bref, il est loin d'avoir le réalisme minimal des bêtes préhistoriques de l'île, qui sont justifiées par les découvertes de la paléontologie.

C'est que Kong n'est pas vraiment un anthropoïde de sept ou huit mètres de haut, bien sûr. Kong est plutôt un «bon sauvage» rousseauiste magnifié, un enfant de la Nature comme Tarzan, mais qui n'a pas le côté Greystoke qui permet à Tarzan de visiter la civilisation en faisant comme si. Kong est la brute primordiale, l'instinct et la force, mais aussi le sentiment et la spontanéité. L'authenticité de son ouverture le rachète, même s'il ne peut exprimer que par des gestes, des mimiques et des grondements ce qu'il ressent. Dans le film de Peter Jackson, l'auteur Jack Driscoll finit par se rendre compte qu'il a eu tort de croire que l'actrice Anne Darrow pourra saisir le sens profond de ses actes — les actes de la pièce qu'il a écrit pour elle en croyant qu'elle comprendrait qu'il l'aime. Mais en assistant à sa propre pièce, Driscoll découvre qu'il y a mis des choses sans comprendre sur le coup comment elles s'appliquaient à son propre cas. Bref, il a négligé la parole, cet atout qui distingue les humains des animaux, alors que Kong, la brute muette, réussit à se faire aimer mais demeure du mauvais côté de la clôture.

Ce qui fait la force du film, c'est la transfiguration particulière (et particulièrement hénaurme) de ce qui est un motif classique de la littérature. La femme qui opte pour un personnage dangereux, incapable de s'exprimer, marginal et parfois activement rejeté est presque un cliché. Et cela se termine souvent par le sacrifice de l'homme qu'elle ne doit pas aimer, au profit ultime de l'homme qu'elle peut épouser... Mais Kong transforme tout ce qu'il touche; au lieu d'être abattu dans une fusillade avec des policiers, il mobilise l'armée et l'aviation de la capitale du monde. C'est plus grandiose (tout en restant quelque peu incroyable au sens propre). Et son personnage pose quelques questions sur les rapports entre les humains et la Nature, entre la civilisation et l'état de nature...

La seconde version de King Kong avait d'ailleurs fait du grand singe une sorte de symbole écologique. Celle de Peter Jackson se contente de mieux creuser le portrait au premier degré, sans chercher à introduire des lectures supplémentaires ou des sur-interprétations. La performance technique est impeccable. Seulement, je suis quelque peu déçu qu'un créateur de l'envergure de Jackson n'ait jamais cherché à nous proposer une allégorie plus moderne.

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