2005-11-22

 

Le nouveau martyrologue québécois

Pierre Pettigrew n'avait pas entièrement tort quand il parlait d'une succession de perdants à la tête du Parti Québécois, mais il n'a pas mis le doigt sur le fond des choses, seulement sur le point le plus sensible. Deux référendums perdus, ce sont des défaites indiscutables qu'il est douloureux de rappeler. Le rejet triomphal de l'accord de Charlottetown ne compte pas pour grand-chose dans les mémoires... Curieusement, ceux qui ont œuvré pour la défaite de cet accord ne s'en font pas gloire très souvent.

Mais ce que l'élection de Boisclair à la chefferie du PQ confirme de manière saisissante, c'est l'affection des Québécois pour les éclopés et les canards boiteux. Le signe le plus clair que le souverainisme a remplacé la religion catholique dans la société québécoise francophone, c'est sa capacité à désigner de nouveaux martyrs à l'admiration des masses.

Autrefois, il n'y a pas si longtemps, les jeunes Canadiens français apprenaient à vénérer les missionnaires catholiques qui avaient souffert pour leur foi. Depuis la Révolution tranquille, c'est passé de mode, mais le grand récit nationaliste a substitué à ces martyrs de l'évangélisation de nouveaux héros qui ont souffert pour leur foi indépendantiste.

Sur le mode mineur, il y a les quelque cinq cents personnes emprisonnées en vertu de la Loi sur les mesures de guerre lors de la crise d'Octobre.

Mais le premier grand martyr, c'est bien entendu René Lévesque. Battu lors du référendum de 1980, il est persécuté pour sa foi. Buvant la coupe jusqu'à la lie, il est attaché au poteau de torture lors de la fameuse «nuit des longs couteaux». Malgré l'allusion outrancière à un épisode de la sombre histoire nazie, cette invocation de couteaux plantés dans le dos ne ressuscite-t-elle pas le spectre des tortures amérindiennes et de la prise du scalp? Rien ne sera épargné à René Lévesque, y compris la trahison ou le reniement des siens, jusqu'à la mort prématurée. Et rappeler sa descente aux enfers, comme on l'a fait récemment, avant que la machine médiatique passe à Nathalie Simard, ne fait rien pour entamer sa popularité, au contraire.

Le second grand martyr, c'est bien sûr Lucien Bouchard. Fils prodigue du souverainisme québécois qui cède aux séductions du fédéralisme conservateur, il s'arrange pour être acculé à la démission par Brian Mulroney afin de pouvoir quitter Ottawa (cet antre de perdition), revenir au pays et réintégrer le giron nationaliste. S'il a eu la sagesse de se poser déjà en victime du devoir et de la fidélité au Québec, il n'a droit à l'apothéose qu'en subissant l'attaque galopante de la bactérie mangeuse de chair qui le laisse éclopé. Dès lors, il est porté aux nues et son élection douloureuse, qui le porte au pouvoir tout en le privant de la pluralité des voix, ne fait qu'égratigner son charisme. La contestation de son leadership par les membres du Parti Québécois n'est guère plus dommageable. Il ne commence à perdre son auréole qu'en se mêlant de sermonner, d'abord, son parti, puis le Québec tout entier dans le manifeste récent pour un Québec lucide.

Certes, ce ne sont pas tous les dirigeants du Parti Québécois qui accèdent à cette béatification par le martyre. Les chefs éphémères (Pierre-Marc Johnson) sont vite oubliés. Bernard Landry avait bien compris le principe de cette popularité, comme le prouvent ses nombreuses tentatives de déchirer sa chemise en public, mais il n'arrive pas à y mettre la sincérité nécessaire. Quand il s'en agace, il renonce à son poste de chef suite à un vote qu'il juge insuffisant.

Quant à Jacques Parizeau, il est l'exception qui confirme la règle. En toute logique, il devrait susciter l'admiration fervente de tous les souverainistes. Il a non seulement remporté la seule élection depuis 1981 lors de laquelle le Parti Québécois a obtenu la pluralité des voix, il a quand même fait partie de l'équipe qui a failli porter le Québec sur les fonts baptismaux comme nouveau pays, à quelques milliers de voix près. Mais le rôle de victime ne lui convient pas. Au lieu d'adopter la résignation bien chrétienne (mais non dénuée d'espérance) d'un René Lévesque en 1980, il se rebelle rageusement un certain soir d'octobre 1995.

On s'empresse de lui montrer la porte.

Nouveau martyr potentiel, André Boisclair ne peut se targuer d'avoir suscité la vindicte ailleurs au Canada. Mais son homosexualité déclarée le classe parmi les victimes de l'opprobre des croyants dans bien des parties du monde. Et sa consommation de cocaïne l'expose encore plus dangereusement à la réprobation publique. Dans un monde médiatique qui subit de plus en plus le formatage de Star Academy, c'est le petit candidat «en danger». S'il n'a pas encore l'ampleur tragique d'un René Lévesque, il a écrasé sans mal Pauline Marois. Trop vieille, trop expérimentée, trop sûre d'elle, trop riche, murmurait-on... bref, pas victime pour un sou. Par contre, Boisclair avait si clairement l'étoffe d'une future victime sacrificielle qu'il l'a emporté.

Et Pierre Pettigrew lui a plutôt rendu service en confirmant immédiatement qu'il serait en butte aux attaques de ses adversaires sur tous les fronts.

Les Québécois francophones se reconnaissent-ils dans les destins difficiles? On sait qu'ils ont longtemps voué un culte à Saint-Jean-Baptiste, le prophète bafoué et exécuté, ainsi qu'à Saint Joseph, le cocu de Dieu. Les leaders vulnérables ont bien des avantages; ils sont mal placés pour faire la leçon, par exemple. Et ils sont excusés d'avance s'ils ne réussissent pas. Bref, il sera plus facile de croire que le peuple «né pour un petit pain» ne l'est plus quand celui-ci cessera de plébisciter les victimes et les perdants.

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