2005-11-29

 

Errances

Le recueil Vraies Histoires fausses d'Élisabeth Vonarburg compte une série de nouvelles plus ou moins placées sous le signe de l'autofiction. La lecture est fascinante quand on connaît l'autrice depuis un certain temps, ainsi que les paysages qu'elle évoque. Le jeu du vrai et du faux.

La dernière nouvelle, «Transhumance», pose tout particulièrement la question du rapport au réel... Il me semblait qu'Élisabeth avait été une marcheuse, mais seulement à l'occasion d'excursions en pleine nature, alors? Car, est-ce bien Élisabeth que cette narratrice qui ne connaît que son nid et ses itinéraires familiers? Quelle que soit la réponse, la question m'a amené à me demander, à mon tour, quand donc j'ai commencé à explorer les villes à pied, et pourquoi.

Je ne suis pas un marcheur sportif; je marche pour voir, pour explorer, pour savoir que je suis allé quelque part de particulier. Vingt ou trente km en forêt sous prétexte d'entretenir la forme ne m'intéressent pas. Quand j'étais petit, j'avais une bicyclette et elle me servait à explorer, avec un ou deux copains, tout ce qui se trouvait entre le Queensway et la rivière des Outaouais dans mon quartier. C'était alors l'extrême banlieue d'Ottawa --- si on compte Orléans comme un satellite, et non une banlieue organique de la ville. Il y avait encore des terrains vagues, des champs près de l'école, des ruisseaux qui coulaient à ciel ouvert (ils ont été recouverts), une maison de ferme dans les ruines de laquelle on pouvait cueillir du lilas en mai...

Je ne sais plus quand exactement, mais j'ai renoncé à la bicyclette pour mes pérégrinations à Ottawa. Oh, la bicyclette d'enfant de ces jeunes années avait été remplacée par une bicyclette d'adulte, mais elle m'a servi de moins en moins. Sans doute que je n'aimais pas me colleter avec la circulation automobile. Et, bien sûr, comme nous sommes au Canada, j'ai appris à conduire l'année de mes seize ans. Pour mon père, cela allait de soi que ses enfants apprennent à conduire. Et comme la maisonnée disposait de deux Volkswagens, il n'était pas trop difficile d'emprunter une voiture pour une sortie si j'avais besoin de me rendre à une réunion du club de science-fiction ou du groupe d'écrivains Lyngarde.

Mais, en ce qui concerne mes expériences formatrices, il y a aussi la dimension française. Dans ma famille de France, la marche apéritive ou digestive était encore à l'honneur. Dans une petite ville du Perche, pas si loin du Combray de Proust, il suffisait de marcher quelques minutes pour quitter les rues et marcher par les sentiers et les petites routes de la campagne. On goûtait en famille, assis au revers du talus d'un champ, en enfonçant quelques carrés de chocolat dans un morceau de baguette... Pour explorer Paris, quand j'ai eu l'âge de me lancer tout seul, la marche était également incontournable, même avec l'aide du métro.

Ainsi, au Canada, pour les déplacements importants qui exigeaient une certaine planification et de la ponctualité, je conduisais. Et si je voulais me promener pour explorer, la marche présentait certains avantages. Un marcheur peut passer n'importe où et il n'a pas besoin de s'inquiéter d'une voiture ou d'une bicyclette s'il s'arrête quelque part. J'ai donc, au fil des ans, apprivoisé les villes de ma vie — Ottawa, Paris, Toronto, Montréal — en m'élançant au hasard dans le dédale des rues, muni d'une carte et d'une bouteille d'eau, d'un parapluie aussi au besoin. À Ottawa, j'ai poussé des pointes jusqu'à Tenth Line vers l'est, jusqu'à Island Park au moins vers l'ouest, jusqu'à Aylmer au nord de la rivière et jusqu'à Pointe-Gatineau dans l'autre direction. À l'intérieur de ces bornes, j'ose affirmer que je connaissais ma ville...

Mais celle que je connaissais n'existe plus tout à fait.

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